Plaidoyer pour l’orientation du compas direct vers d’autres marchés

par Robert Noël

La musique est une, mais elle peut présenter des particularités liées à la tradition du peuple qu’elle tend à identifier. Selon toute vraisemblance, le compas direct pourrait permettre d’ouvrir des fenêtres d’opportunités aux musiciens haïtiens. Cependant, le manque de structure empêche que cela soit fait. On dit que ce genre musical a été baptisé et reconnu depuis plus de soixante ans. Ne serait-il pas normal de se poser la question : où va le compas direct ? Certains musiciens conscients n’ont pas caché leur sentiment en ce qui a trait à l’émancipation de cette forme de musique populaire haïtienne au-delà des océans.

L’éveil de la conscience collective pour une meilleure approche musicale

Un musicien très connu de l’univers compas direct, au cours d’une interview avait fait des déclarations surprenantes, laissant croire que le compas direct ne pourra jamais atteindre l’échelle internationale. Donc, il existe des problèmes qui relèguent ce genre reste au stade de musique communautaire.
Une approche différente facilitera le passage de ce stade à un niveau international. C’est triste de constater que les musiciens ne s’entendent pas sur les dispositions à prendre pour surmonter les difficultés qui se dressent sur leur chemin et réorienter le compas direct.

L’identification des problèmes constitue un premier pas vers la solution permanente. Une telle mesure pourra conduire à une renaissance du style musical le plus populaire d’Haïti. Pour que cela soit possible il faut que les musiciens cessent de rêver à leur statut fictif de superstars. Dans tous les pays du monde, une super étoile vit aisément de sa profession.Bon nombre de ces musiciens ont du talent pouvant les aider à atteindre le marché international du disque. Il serait avantageux que les dirigeants d’orchestres établissent des con- tacts avec le monde extérieur qui offre plus d’avantages aux musiciens.

L’un des plus grands problèmes des groupes musicaux du monde compas direct est la violation
des normes internationales. La durée des chansons gravées sur les disques paraît trop longue pour qu’elles soient diffusées à la radio et aient la chance de capter l’attention des auditeurs étrangers du monde entier. Une chanson qui dépasse quatre minutes a moins de chance qu’un animateur étranger la diffuse à son émission. Un autre problème qui semble affecter la traversée transatlantique des groupes compas direct c’est la thématique que choisissent les concepteurs de vidéos.

Tous les clip-vidéos présentent une scène d’amour, de jalousie, une exposition de voitures de haut de gamme et des filles à moitié nue. Les acteurs, actrices et le cadre sont toujours les mêmes. On dirait une copie carbone de l’une de l’autre. Il serait injuste de placer le groupe Harmonik dans cette même lignée. Car cette formation musicale se démarque du traditionnel, en terme de production de vidéo à substance. Mais son manager, Rodney Noël, est pris dans le même train-train, le même pétrin. Il semble qu’il n’ait aucun contact en dehors du cadre restreint des petits bals que ce groupe anime aux États-Unis, en Haïti, en France ou en Guyane française à l’intention d’une clientèle haïtienne. Avec une vidéo d’une telle qualité, le manager aurait dû explorer d’autres mondes, comme l’Afrique et l’Asie.

La déviation vers une autre forme de musique

On note aussi une évasion des groupes musicaux du style compas direct, et cela sous un faux prétexte attribué au « son lari a ». Ils le dénomment compas-love, qui n’est rien d’autre qu’une influence du zouk. Certains musiciens  disent que le zouk découle du compas direct. Certes, le compas direct a existé avant le zouk. Que constatons-nous aujourd’hui ? Ces musiciens pensent qu’en jouant du zouk leurs œuvres pourront traverser les frontières, sans fournir le maximum d’effort pour les faire accepter  par d’autres cultures. Il y a un travail qui n’est pas fait. Certains artistes s’illusionnent en faisant un raisonnement puéril voulant dire que le compas direct est internationalement reconnu puis que le zouk l’est. Les petites soi- rées que les groupes haïtiens animent en fin de semaine les empêchent de se concentrer sur les stratégies à utiliser pour conquérir d’autres mondes.

Dans l’industrie internationale de la musique, les vidéos constituent non seulement un support à une pièce musicale, mais elles sont aussi considérées comme une forme de promotion. À l’échelle internationale, l’utilisation de ce support ne se fait pas de la façon dont les groupes musicaux compas direct le conçoivent. Les dirigeants de certaines formations musicales croient que plus ils produisent des vidéos de chansons enregistrées sur un même album davantage ils garantissent une bonne promotion. Ils ne se rendent même pas compte que deux vidéos produites successivement dans un court  temps  n’aident pas, si la première suit son cours et popularise la pièce musicale qu‘elle supporte.

On ne saurait laisser passer inaperçu l’attachement des groupes musicaux haïtiens aux animateurs de radio convertis en vidéographes circonstanciels à qui ils font une offre globale pour couvrir leurs événements live. Ils ne se soucient guère de la qualité des images, pourvu qu’on les voie sur scène en pleine prestation. Les salariés vidéographes/animateurs doivent certainement préparer un portfolio du groupe pour le présenter aux compagnies étrangères de distribution. Faute d’adhérer à une telle exigence prouve leur incapacité et leur manque de professionnalisme. Ces musiciens espèrent-ils que ces vidéos attirent des producteurs et des distributeurs étrangers ?
On n’arrive pas à comprendre que des musiciens qui, publiquement, déclarent gagner beaucoup
d’argent ne peuvent avoir un budget disposé à la promotion de leurs œuvres à l’échelle internationale ? Il faut aussi que les responsables de groupes musicaux fassent bien attention. Il y a de ces animateurs à qui vous confiez la promotion de vos œuvres, et qui n’ont pas les qualités requises pour assurer une bonne promotion et le marketing de votre album. Il faut aussi considérer la côte d’écoute de l’animateur et la qualité de son émission. Car, ils se vantent tous d’être les meilleurs animateurs de la ville où ils émettent. Les fondateurs et responsables de groupes musicaux doivent trouver d’autres alternatives pour garantir l’orientation du compas direct vers d’autres marchés.


cet article de l’édition sur support papier de l’hebdomadaire Haïti Observateur, du 24 janvier 2018, se trouve en P. 16, à cette adresse-ci : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/01/H-O-24-Janv-2018-1.pdf