L’AFFAIRE « BATEAU SUCRÉ » PAR DEVANT LE TRIBUNAL

Retourné à la cloche de bois, Marc-Antoine Acra devant son juge naturel – par Léo Joseph

L’affaire du « Bateau sucré » ou encore « Bateau Acra », du nom du principal acteur de la saga du bateau battant pavillon panaméen Manzanares qui avait, en avril 2015, débarqué des dizaines de tonnes de drogue, vient de rebondir à Port-au-Prince, au moment où l’on s’y attendait le moins. Puisque l’unique grosse légume inculpée avait pris la fuite pour se réfugier en République dominicaine.

En effet, Marc Antoine Acra était revenu au pays subrepticement, afin de se présenter à une séance au tribunal en relation avec l’appel du verdict d’inculpation contre lui qu’avait rendue le juge Berge O. surpris. On rapporte que l’affaire est mise en continuité, renvoyée à la quinzaine.

Assurément, la relance du dossier met tous les hommes d’affaires ayant contribué au financement de la cargaison de cocaïne introduite en Haïti par le navire Manzanares. Ainsi que les hommes du pouvoir qui ont participé à la transaction, surtout au niveau des logistiques. Des sources proches du dossier ont fait savoir que l’ex-président Michel Martelly et  l’ancien Premier ministre Laurent Lamothe avaient largement contribué à faire aboutir à destination cette cargaison mixte de cocaïne, d’héroïne et de marijuana, la plus grande quantité de narcotiques jamais introduites en Haïti à la faveur d’une seule et unique cargaison.

Lors de la dernière audience avait tout simplement été mis au courant de l’arrivé du bateau par un directeur de l’Anabatco qui se trouvait sur place, à Port-au-Prince. Le tribunal aurait été informé que M. Acra avait recommandé à ce directeur et aux autres responsables de cette société de coopérer sans réserve avec les autorités.

Autres faits nouveaux introduits par les avocats de M. Acra. Selon eux, la cocaïne se trouvait sous les escaliers. Alors que des sources policières avaient fait savoir, tout au début, que les sachets contenant la substance interdite étaient en partie dissimulés parmi les sacs de sucre; aussi bien que sous les escaliers et les parois intérieurs du navire. La défense a également argué du fait que l‘accusé ne possède pas de bateau. Le Manzanares a été affrété rien que pour transporter du sucre. En outre, la défense a raisonné en disant que le capitaine du navire et son équipage sont les seuls responsables de la marchandise qui se trouvait à bord.
Pourtant, une partie de la drogue a été enlevée avant que les dockers n’entament le processus de débarquement. S’il est vrai que des dockers ont subtilisé une portion de la drogue, des sources liées au
port de débarquement ont indiqué que des personnes non affiliées au Terminal Varreux avaient eu l’opportunité d’enlever des portions des marchandises que les autorités policières, assistées d’agents
de la Drug Enforcement Administration (DEA) n’avaient pu trouver pour être ajoutées au corps du délit. C’est pour quoi certaines disent que le Manzanares transportait seulement 104 kilos de drogues mixtes.

À ces mots, on peut dire qu’il y a un hic. Puisque, après avoir recommandé coopération avec les autorités, Marc Antoine Acra a jugé nécessaire de devenir un fugitif, s’étant dérobé à la justice en se réfugiant en République dominicaine.
On se rappelle que lors de sa « visite de courtoisie » au président dominicain Danilo Medina, au mois de janvier 2017, peu avant sa prestation de serment, le président élu Jovenel Moïse avait eu une
rencontre privée avec Marc Antoine Acra, alors un fugitif à Santo Domingo. Un an plus tard, voilà M. Acra de retour au pays sans être puni pour avoir fui Haïti alors qu’il se trouvait en liberté provisoire. Dès lors, on est en droit de se demander si sa rencontre mystérieuse et inopinée avec le président élu d’Haïti n’avait pour objectif d’aménager son retour au pays sous le signe de l’impunité.

Remis en liberté provisoire
En attendant la nouvelle séance, qui doit se tenir dans une semaine environ, Marc Antoine Acra jouit de liberté provisoire. Cela paraît bizarre dans le cas d’un fugitif comme cet accusé. En tout cas, pour avoir fui en République dominicaine, en avril 2016, alors qu’il se trouvait en liberté provisoire et est retourné « ni vu ni connu » en dit long de la justice haï tienne. Surtout qu’un autre citoyen, accusé comme M. Acra dans cette même affaire de « Bateau sucré », a vu sa demande de mise en liberté provisoire rejetée d’un reverse main par le tribunal.

S’agit-il d’une décision de deux poids et deux mesures ou une sentence qui s’inspire de la condition sociale de Fedner Dolisca, un superviseur des dockers au Terminal Varreux, le port où a été effectué le
déchargement du Manzanares. Puisque, assurément ce dernier ne possède pas les grands moyens comme Marc Antoine Acra pour « graisser le train ».

Tout le monde est d’accord qu’à l’arrivé du bateau panaméen au port Varreux il avait à bord 665 tonnes de sucre. Pourtant les propriétaires du sucre tiennent mordicus qu’il y avait à peine un peu plus d’une centaine de kilos de drogue. Il semble qu’une partie de la substance interdite ait été transportée dans des dépôts à la capitale loin des fouineurs de la Direction centrale de la police judiciaire et des membres de la Brigade de lutte contre les stupéfiants (BLTS), en sus des représentants de la Brigade fédérale antidrogue.

Des aveux faits par le personnel du port
Les importateurs du sucre ont tout fait pour éloigner la police et ses alliés de la DEA de la bonne piste. Mais certains des membres du personnel du Terminal Varreux retenus pour interrogatoire, comprenant la situation pourrait tourner mal pour eux, étaient passés très vite à table.Aussi, apprend-on de ces mêmes sources, des agents de la BLTS, accompagnés de leurs collègues de la Brigade fédérale antidrogue, avaient pu faire des descentes chez certains individus qui ont fourni de précieuses informations sur les événements entourant l’arrivée et le débarquement du Manzanares.

De toute évidence, pour être revenu au pays, après avoir séjourné presque une année en cavale, en République dominicaine, Marc Antoine Acra a dû obtenir une assurance ferme qu’il bénéficiera d’une ordonnance de main levée provisoire, à défaut d’un acquittement immédiat et définitif. Car les agents américains étaient si impliqués dans l’affaire du Manzanares que les autorités judiciaires haïtiennes ne peuvent se permettre n’importe quoi en termes de décisions à prendre par rapport aux personnes présentement accusées.

En effet, selon des informateurs proches de la DEA, le Manzanares se trouvait sous surveillance d’un bout à l’autre de la traversée, du port d’embarquement, en Colombie, jusqu’à Port-au-Prince, ainsi que durant l’escale au Panama qui ne semblait avoir vraiment sa raison d’être, à en croire ces informateurs.

Tout cela signifie que les Américains ne sont pas sur le point de permettre que le dossier du Manzanares soit bâclé. Un des procureurs fédéraux a déclaré que la justice haïtienne s’est montrée trop souvent nonchalante, dans le traite- ment d’importants dossiers comme celui-ci. Mais celui-ci, dit-il, concerne trop de gens — et pas des moindres — pour cautionner, ou tolérer un traitement capricieux de cette affaire.

Quoi qu’il en soit, en dépit des démarches menées par Marc Antoine Acra et ses « associés », le rebondissement du dossier signifie que des pressions exogènes intenses sont exercées sur les décideurs judiciaires haïtiens. Tout cela signifie que, dans ce cas précis, ceux qui ont la responsabilité de rendre justice n’ont pas les coudées franches pour faire à leur guise. L.J.


cet article de l’édition du 14 février 2018, se trouve en P. 1, 3 de la version PDF, à l’adresse suivante : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/02/H-O-14-fev-2018-1.pdf