Société et Réseaux Sociaux; Vie Publique, Vie Privée et Intimité

REGARD DE LA FENÊTRE par Michèle Mevs

  • L´épouse et la progéniture des chefs d’État dans l´œil du public
  • SOCIÉTÉ ET RÉSEAUX SOCIAUX; VIE PUBLIQUE, VIE PRIVÉE ET INTIMITÉ

Quand la vie privée des familles du pouvoir est passé au crible, on peut se demander de quel traiement font elles l’objet. Par Michelle Mevs

« (…) Manipulation et méchanceté grossière » sont les paroles prononcées à la mort de la princesse de Galles Diana par son frère Charles Spencer, fulminant contre la presse et les paparazzis pour leur extrême harcèlement extrême de sa sœur accidentée et morte, le 30 août 1997. Une persécution insoutenable qui en faisait un sujet de foire : Lady Di en bikini, Lady Di accompagnant ses fils à la garderie; allant même jusqu’à mettre sous écoute ses conversations téléphoniques les plus intimes. Mais c’était dans les années 90, et nous sommes aujourd’hui en pleine explosion des réseaux sociaux dont les applications dévoilent tout de la vie privée des uns et des autres, dans une sorte de fourre-tout. Et le pire c´est que nous exposons nous-mêmes notre vie dans un besoin souvent narcissique de faire partie de cette ère digitale. Car, en vérité, qui n’a pas une page fb est devenu aujourd’hui un paria, voire même un être anti-social.

En ce qui nous concerne, en Haïti, il y a cette image magnifique sur facebook qui m’interpelle. Pour ma part, j’y vois celle d’une jeune fille triomphante d’avoir étudié et heureuse d’obtenir son diplôme : La fille de l’ex-président haïtien Jean-Bertrand Aristide et de Mildred Trouillot a été, cette fin d´année, diplômée de Cornell University. Michaëlle, une jeune fille gracieuse et aspirant sans doute à la réussite dans
un monde où il faut être préparé. Michaëlle Aristide, Christine Aristide, toutes deux héritières de la formation intellectuelle de leurs parents, sauront évidemment les rendre fiers.

Tout ceci est courant jusqu’à ce qu’on retrouve sur les réseaux sociaux quelques commentaires
surprenants à l’égard de l´ex-président Aristide parle truchement de sa fille et s’appuyant sur un argumentaire trouble. Ce post avance certains critères locaux qui ne sont qu´égarement idioyncratique.

Nous lisons :

« 2 juin, 00:46 Je félicite cette jeune graduée — la fille d’Aristide, mais je ne peux éviter de faire remarquer que c’est la fille du plus faux de nos leaders : le plus antibourgeois (il épouse une bourgeoise), le plus antiapitaliste (il en devient un) le plus antiAméricain, mais les supplie d’être ramené au pays à la pointe de leur baïonnettes et c’est chez eux qu’il envoie sa fille étudier. Après avoir trompé Dieu il arrive encore à tromper des mortels . Tuition and fees $50,953 + Room and board $13,900 +
Other expenses $2,760. Total cost $67,613 »

Il faut savoir poser les bonnes questions. Oui, Je veux ici les poser dans le cadre plus large de la critique faite aux épouses et à la progéniture des chefs d’État. Mais, avant tout, je reprendrai un autre commentaire intéressant au bas du post précédent, recadrant la question : « Je suis sûre que cette fille
serait au service de son Pays ! Non pas comme nous avec cette haine ! Notre pays dégringole. Grâce ! Notre attitude Ayez pitié pour les Jeunes ! Ils sont beaucoup plus intelligents que NOUS ! ! L’UNION FAIT LA FORCE ». Alors, les bonnes questions : Les enfants du pouvoir sont souvent des privilégiés, mais ont-ils demandé à naître au sein de familles riche au passé pour le moins encombrant. Sont-ils responsables des fautes de leurs parents ?

Et de plus, au niveau des parents, qui de moi ou de tout autre parent n’a pas l’ambition de faire mieux pour ses enfants ? Qu´ils fassent de bonnes études et qu´ils se libèrent de toute exclusion nationale ou mondiale ?

Et même, comment comprendre ou compatir avec les difficultés d’être une première dame ou un enfant de personnage politique célèbre — adulés et honnis — tout à la fois, au passé peuplé de troubles ?

L´intimité des familles sujettes à la curiosité publique passe-t-elle aux ornières ? Mais revenons au contexte relatif aux parents de Michaëlle Aristide, une jeune fille accomplie.

On sait qu’en Haïti, la lutte de classe, le choix épidermique, mais encore, la diplomatie internationale et l’agression politique acharnée sont à la base de tout combat locale.

Sans l’ombre d’un doute, nos opinions passent par le tamis de notre inconscient collectif. Un imaginaire comprenant la division en caste sociale s’appuyant sur la couleur de la peau. Seul la suprématie d’argent compte. Dans la foulé, ne serait-il pas temps d’ouvrir les yeux et d’apporter quelques correctifs à l´ex-pression biaisée de nos opinions ?

Les points qui étayent les critiques
Signalons d’abord la lutte de classes. Le père de cette jeune fille accomplie, pour avoir été président du pays, alors qu’il est originaire de la classe des déshérités, nous permet-il de préférer l´échec pour sa famille ? S’il a fait sa révolution populiste radicale dans l’extrême violence, que l’on connaît,sa vie et,son œuvre offrent-elles une occasion d´utiliser fb peut proclamer le bannissement de sa femme ou de ses filles ? Non, je ne pense pas.

Dire qu´Aristide le créateur de Lavalas, a trahi ses origines et son discours en se mariant à « une représentante de la classe bourgeoise » (classe décidément jugée abjecte par les partisans Lavalas) est un jugement déformé et superficiel. Et si Jean-Bertrand Aristide aime sa Minouche et que seul son cœur l’avait conduit à s’engager avec l’avocate Mildred Trouillot ? Et si les qualités de cette femme de la diaspora pour qui il aurait de l´admiration l´avait fait évoluer au-delà des dysfonctionnements des mœurs de notre société ?

Les choix effectués dans leur vie privée par nos hommes du pouvoir peuvent-ils être analysés sous un angle différent ? En plus, les passer au crible d´hypothétiques thèses répondant à nos propres complexes n’est-ce pas abuser de nos facultés ?

Si l’on conçoit que la vie privé d’un homme d’État est publique, alors bien des dérives ou excès peuvent surgir. C´est en ce sens que des questions dépassent souvent les limites du respect. Respect dû à tout « libre arbitre » d’un être humain : À son droit de libre choix.

Pourquoi Barack Obama a-t- il épousé Michelle LaVaughn Robinson ? Pourquoi Bill Clinton aurait-il épousé Hillary Rodham ? Donald Trump, Melania ? Répondre que c’est par intérêt ou ambition, ou même fausseté, c’est s’embarquer dans des conjectures difficiles à prouver.

Dans le cadre de nos réflexions, il devient soudain évident que le problème n’est plus dans le questionnement, quand bien même cela serait judicieux ; mais, dans l’hypothèse conçue dans la sphère de notre imaginaire. Nos limites et complexes personnels ne sont jamais innocents.

En Haïti, la bourgeoise est représentée dans notre imaginaire comme un individu à peau claire. Pour illustrer l’affaire, je reprends ici cet autre commentaire, fort judicieux, qui mérite toute notre attention. « (…)

Donc, il suffit d’être clair de peau pour être bourgeois ou bourgeoise ? Et les gens de Casales, de Fond des Blancs, de Côte-de-Fer, etc. qui sont clairs de peaux/Mulâtres/Quarterons/hybrides/mélangés /Mamelouks ….mais pauvres et souvent illettrés sont-ils/elles aussi bourgeois/bourgeoises ? ».

Ne dit-on pas que celui qui a un marteau voit partout des clous à enfoncer ? Le marteau c’est facebook, et les clous à enfoncer ce sont les critiques. C´est ainsi que dénoncer tout simplement la cherté des frais de scolarité des grandes universités américaines, et plus particulièrement de Cornell University : USD 67 613 $ l’an, dans le but d’en faire un objet de critique contre les familles qui en assument les frais parce que l’on sait que l’argent est le seul vecteur de la classe élitiste en Haïti, c’est susciter une amalgame.

La bonne question à l’ordre du jour devrait plutôt s’adresser strictement à l´origine de la richesse (soudaine) de l´ex-président, suspecté de recourir, durant son mandat, au trafic de drogue et d’autres moyens illicites. Et, quel que soit le mal que l´on peut reprocher au régime, l’indépendance de la famille du président devrait toujours être respectée par rapport à sa gestion des affaires publiques, n’ayant jamais traitée de politique, en dehors d´actes de représentation, dans la mesure où la femmes et les enfants du chef de l’État évoluent en marge des actes du chef Leur vie et leurs activités ne devraient-elles pas être considérées comme relevant du domaine privé ? Entre autres, les fils et filles de la diaspora haïtienne aux États-Unis d’Amérique, qui aboutissent aux grandes universités, seraient-ils fautifs, à blâmer ou à l´opposé, à féliciter ? Parce qu’ils ne choisissent pas de partir s’enrôler à l’université de la fondation Aristide, en Haïti, dont les frais seraient minimes, en comparaison, en lieu et place de leur admission aux au prestigieuses universités américaines. Seraient-ils coupables en ce sens ?

Pour plus de précision, nous savons que l’anticapitalisme du populiste Aristide s’adressait, tout au début de son premier mandat du moins, à une meilleure distribution et participation des déshérités du sort aux richesses nationales. Que les classes défavorisées trouvent leur place dans le système. Le capitalisme d’État ou le capitalisme personnel n’étant pas l’objet principal du positionnement Lavalas, mais plutôt le clivage honteux et persistant existant entre les riches et les pauvres, les élites  l’enrichissant dans le contexte de pauvreté extrême des classes démunies. Même si on ne peut passer sous silence que dans cette lutte pour plus de justice sociale, le milieu des affaires en a grandement souffert, pour ne dire que cela, d´autant plus que le système déjà chaotique s’en est trouvé complètement déstabilisé … à ce jour les mêmes situations perdurent. L’écart entre riches et pauvres en Haïti allume encore tous les feux. Les besoins urgents des classes populaires ne trouvant pas de réponse en période de transition de la dictature à la démocratie, c’était un leader charismatique et révolutionnaire, un Aristide engagé dans  l’établissement d’organisations populaires violentes et revanchardes agissant à l’encontre de tous ceux qui ne voulaient pas entendre raison. De sorte que « Wòch nan dlo pakonnen doulè wòch lan solèy ». Voilà comment Aristide annonçait la couleur.

L‘effet de la couleur épidermique ambiante dans notre pays est également un facteur qui contamine notre pensée, taraude notre réflexion depuis longtemps et aujourd’hui encore. Si, en Haïti, les hommes du pouvoir, et pas seulement eux, ont toujours choisi des épouses et maîtresses à la peau moins foncé que la leur, c´est sans doute en vertu de nos mœurs et critères : En Haïti, la peau claire d´une femme la rend plus désirable ! Cette tradition locale a la vie dure : Dumarsais Estimé, le noiriste progressiste, n’avait-il pas épousé une fille de la haute société, Lucienne Heurtelou; et, le Dr François Duvalier (1957- 1971) nationaliste noiriste et dictateur, une nurse, Simone Ovide, fille illégitime de M. Faine, un Blanc. On les a en mémoire, des femmes à la peau moins foncée que celle de leur époux. Michel Martelly et sa femme Sophia Saint-Rémy, du gouvernement tèt kale, en sont des exemples plus récents. En Haïti, les travers culturels partent du concept fallacieux du « plus on est blanc, meilleur on est ». Or la résistance inconsciente de ces mœurs, séquelle du colonialisme, nous hante continuellement, pollue notre raisonnement et agite nos émotions, tout en influençant nos sentiments et nos choix.

Il arrive en politique que pour atteindre les adversaires on fasse feu de tout bois. L’épouse et les enfants étant le talon d´Achille de l´homme au pouvoir, c´est à ce ventre-mou que les opposants décident de s´attaquer férocement. En prenant pour cibles, les partis d’opposition comme les militants-fanatiques, des acteurs politiques se forgent un chemin sous forme de manipulation propagandiste. En parallèle, il y a toujours la presse à sensation aux aguets, avide de scandales et de révélations les plus intimes. Actuellement, les réseaux sociaux ont la part du lion dans l’approfondissement du sensationnalisme, effectuant leur part de carnage. Réduire les proches des présidents en produits, et les poursuivre en mode diabolisation : Rien de nouveau à tout cela dans la lutte des opposants. Par contre, ce qui compte vraiment c´est de sensibiliser le public à de telles attaques, qu´il en soit conscient afin d’arriver à mieux discerner le contenu des messages; et qu´il puisse évaluer à leur juste valeur la teneur de toute critique ou propagande.

Autre exemple, celui d´une première dame soumise à la critique acharnée : Martine Moïse, l‘actuelle première dame haïtienne, qui se retrouve l’objet d´une critique partisane répétitive, effective, en même temps, vraiment cocasse, de la part du comédien connu seulement sou son alias, Awousa.

Le rire, le comique, le divertissement constituent certainement les moyens le plus sûr de faire passer le message du dénigrement politique. Il est d’autant plus nocif qu’il paraît bon-enfant et provoque l’addiction du public. C´est avec impatience que le public attend les prochaines audios-whatsapp d’Awousa adressées à la première dame Martine Moïse, dite Titine : Le dénigrement de son physique et du choix de ses tenues forment le thème favori des audios, qui font la délectation des uns et des autres, peu importe où l’on se situe politiquement. Point n’est besoin de dire que le choc est fracassant pour la
famille présidentielle de Jovenel Moïse alors que la moquerie divertissante, mine de rien, distille au public, une critique corrosive. Il faut peu pour se rendre compte de la rudesse de la contextualité des attaques..

Il faut croire qu´Awousa émet la version « soft », tout de même pernicieuse, de la bouffonnerie politiquement incorrecte d’un Sweet-Micky. Awousa, comme Sweet Micky, dont dans la performance. Une pièce et son revers, Sweet Micky. choque afin de capter l’attention du public; et Awousa, en faisant rigoler les fanatiques rogne la popularité de Jovenel Moïse par l‘entremise de son épouse. La réjouissance proposée par Martelly comme celle offerte par Awousa se conçoivent comme des outils
de propagande politique.

Se positionner contre l’hégémonie américaine, c’est un argument de base généralement présente dans la rhétorique politique haïtienne. Quand on sait que Haïti est à 600 miles de la Floride et dépend de la politique américaine, quoi de plus étonnant que tout leader, tout chef d’État sachant évaluer les limites de la relation bilatérale, comme les avantages qu’ils peuvent en tirer. Affaire de conjoncture : Indéniablement, blâmer ou flatter les ambassadeurs américains ouvertement est affaire de posture et
d’opportunisme politique.

D´autant plus que les épouses et la progéniture de nos hommes du pouvoir, au niveau de la présidence comme à celui des parlementaires et aux membres du système judiciaire dépendent du visa américain pour voyager, étudier,se spécialiser, et en même temps de la bonne volonté du pouvoir américain ?

Et puis, si Aristide a pu se faire réinstaurer au pouvoir, c’est dire beaucoup de la capacité ou de la flexibilité à négocier dont il a fait montre, reconnaissons-le. Néanmoins, plus récemment, son silence, son élimination anti-démocratique de la course électorale ne sont-ils pas symptomatiques de la pression real politique qu’exercent les États-Unis sur Haïti ? Y- a-t- il fausseté dans le domaine politique de la part du père de la jeune fille accomplie, quand il l’envoie étudier à Cornell ? Je ne pense pas !

Le public est-il bienveillant à l’égard des familles de dirigeants ? Il est certain que non ! Le scandale fait recette pour certains secteurs, telle que la presse. Les présidents, leurs épouses, leurs enfants seront toujours sous les feux de la rampe et se faisant les cibles des opposants sur les réseaux sociaux. De plus, le « droit de savoir » qu´évoque la presse à sensation aura-t-il jamais de limites ? Faudra attendre longtemps. Aussi, les privilèges de vivre aux cimes exigerait quelques sacrifices. La vie privée passée sous la loupe en est un parmi d´autres..

Il ne subsiste alors que l´intelligence collective de la population pour assurer l’équilibre d´un jugement posé sur l’épouse et la progéniture des présidents. Dieu merci ! La population « n’est pas sotte ou égarée » (cela dit dans le sens français du terme). « Analfabèt pa bèt », se plaisait à répéter Jean-Bertrand Aristide, jeu de mots sensationnaliste mais exprimant la vérité.

C’est en ce sens que l’on peut appréhender les enjeux de la manipulation politique, de la critique sociale, qui prennent source et s’incarnent à partir de l‘imaginaire national et de l´idiosyncrasie d’un peule donné.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 20 juin 2018 et se trouve en P. 3, 9, à cette adresse : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/06/H-O-20-juin-2018-2.pdf