La dictature ne doit pas renaître en Haïti !

ÉDITORIAL

  • La dictature ne doit pas renaître en Haïti !

le 7 février 1986, date de la chute de la dictature des Duvalier, le peuple haïtien, au pays comme à l’étranger, debout comme un seul homme, a déclaré a jamais banni ce système politique, un serment que les défenseurs de la démocratie ont juré de tenir à tout prix. Aussi, depuis lors, ces derniers se mobilisent-ils pour faire échec à toute velléité de retour de ce monstre exprimée par actes et décisions de politiciens mal intentionnés. Mais jamais, auparavant, un chef d’État en fonction n’avait poussé de telles ambitions aussi loin que Jovenel Moïse, en s’arrogeant le droit de violer la constitution de manière aussi flagrante qu’aussi grotesque et irréfléchi. Mais qu’il se le prenne pour dit : Cette effronterie ne passera pas !

Sans froid aux yeux, par un tweet, le locataire du Palais national, en passe d’être mis à la porte par le peuple souverain, a lancé l’annonce suivante, il croit constater «la caducité» du Parlement. Il ne fait pas allusion seulement à la fin du mandat régulier des membres de la Chambre basse et du tiers du Sénat, qui arrive à expiration le second lundi de janvier (13 janvier), mais également à ceux élus pour six ans, soit 19 sénateurs, le vingtième, en l’occurrence Guy Philippe, ayant été arrêté par des policiers de la DCPJ et remis aux agents de la Drug Enforcement Administration (DEA). Car, depuis plus de dix ans, il était l’objet d’un mandat d’amener aux États-Unis, puisqu’inculpé pour son implication présumée dans le trafic de drogue. Voilà l’interruption du processus démocratique et de l’ordre constitutionnel, qui peinaient déjà à évoluer sous le régime PHTKiste dirigé par Nèg Bannann nan.

D’aucuns s’interrogent encore sur la signification de ce procédé par lequel un simple tweet remplace une décision officielle de la présidence généralement présentée sous forme d’une résolution publiée dans le journal officiel Le Moniteur. La nation attend encore cette formalité, qui tarde à venir. Si effectivement, Moïse est capable de se donner les moyens de pousser son outrecuidance jusqu’à sa conclusion logique

N’empêche que l’Exécutif a pris, de par lui-même, la décision d’ignorer le principe de la séparation des trois pouvoirs en éliminant un d’entre eux. Ansi il montre avec quelle désinvolture il pose un geste aussi grave. Cela surprend encore davantage qu’il se croit dans ses droits légitimes de défendre le respect de son mandat face à des millions de manifestants descendus dans la rue pour exiger sa démission «immédiate et sans condition». À la lumière de ce raisonnement, il y a fort à parier que la mobilisation anti Moïse va connaître un nouvel élan. Surtout que les électeurs qui se font représenter au Sénat de la République pour une période de six ans n’ont pas demandé à révoquer leur mandat. Contrairement à Jovenel Moïse, élu avec 500 000 voix sur six millions de personnes éligibles, dont la démission est exigée par des millions de citoyens, toutes catégories sociales confondues.

Sous la foi du serment pris par le peuple haïtien relatif à la fin définitive de la dictature, les défenseurs de la démocratie doivent se mobiliser, encore comme un seul homme, contre les élans dictatoriaux de Jovenel Moïse. Surtout que, dans ce contexte de corruption généralisée dans lequel il gouverne le pays, ce fléau aidant, le nombre de ceux qui devraient l’opposer avec fermeté contre lui tend à diminuer. Il nous faut prendre notre courage à deux bras pour contrer Nèg Bannann nan et ses alliés du PHTK. Cette nouvelle détermination est d’autant plus nécessaire que le Conseil électoral provisoire (CEP), l’institution compétente pour trancher dans cet- te crise, s’est retranché dans un mutisme coupable. Et, de toute manière, rien n’autorise à croire que celle-ci a le courage de prendre la décision dictée par ses prérogatives constitutionnelles en pareille matière.

Toutefois, les sénateurs victimes de la fripouillerie de Jovenel Moïse n’ont pas baissé pavillon devant lui. Ils ont décidé de l’attaquer de front en portant plainte pour lui et ses conseillers au Parquet de Port-au- Prince.

Même chose pour le sénateur Onondieu Louis, lui dont le mandat a été aussi écourté par le chef de l’État décrié. Dans une note de presse diffusée le 18 janvier, le bureau du sénateur du Nord-Ouest a indiqué qu’il suit de près l’actualité politique concernant «l’interruption du mandat des sénateurs». Elle dit que le parlementaire veut rassurer ses mandants et la «vaillante population du Nord-Ouest» qu’il reste attaché au mandat de «six ans» qu’ils lui ont conféré, «lors des dernières législatives de 2015, selon les prescrits de l’article 50.3 du décret électoral». Dans la foulée, elle continue an disant que les deux années qui restent de son mandat «ne sont pas négociables». La note souligne, en outre, que «la solution à la crise doit passer nécessairement par un dialogue franc et fertile entre les différents protagonistes».

Entre-temps, ce qui prend l’allure d’un revirement de la part de Jovenel Moïse reste à s’expliquer clairement. Des informations disponibles, dans les milieux politiques, à la capitale, font croire que les 10 sénateurs dont le mandat a été illégalement, et de manière indécente, écourté par le chef de l’État, ont regagné leurs bureaux respectifs au Sénat, aujourd’hui, lundi, 20 janvier. Après une journée régulière de travail, on ne sait de quoi le lendemain sera fait.

L’accalmie constatée dans la mobilisation anti-Moïse n’est qu’un incident de parcours. Mais que celui-ci n’y voit pas l’essoufflement des forces oppositionnelles, au point de crier victoire. Car après avoir suscité une autre crise rien que pour brouiller les pistes, les militants doivent redoubler encore d’effort en vue d’atteindre leur objectif : Éjection de Jovenel Moïse du Palais national et l’émergence d’une société moderne inclusive sans lui. Car la dictature a vécu en Haïti depuis le 7 février 1986.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 22 janvier 2020 VOL. L, No. 3 New York, et se trouve en P. 10 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/01/H-O-22-Januari-2020-1.pdf