Projet d’arrestation de plus de 50 policiers quand intervient une accalmie par Léo Joseph

Projet d’arrestation de plus de 50 policiers quand intervient une accalmie par Léo Joseph

  • Manifestation SPNH en permanence, des institutions de l’État fermées
  • LES INSTITUTIONS DE L’ÉTAT : CIBLES DES POLICIERS EN RÉBELLION

Sous le leadership du Syndicat de la Police nationale d’Haïti, le groupe de policiers identifiés sous le nom «Phantom 509», est mobilisé dans les rues de Port-au-Prince depuis hier (lundi 9 mars) fermant des institutions de l’État et immobilisant les véhicules immatriculés «Service de l’État» ou «officiels».Au moins quatre établissements officiels ont été fermés, au cours de la journée de mobilisation d’hier. Les activités sont reprises aujourd’hui, les protestataires s’adonnent sans désemparer à leurs activités déclarant que le temps des «palabres» a pris fin, l’heure d’agir est arrivée.

Bien que le Syndicat des policiers haïtiens et le bras revendicateur de la PNH aient annoncé cette manifestation, qui devait se tenir hier (lundi 9 mars), les autorités du pays ne pouvaient prédire la forme qu’allait prendre le mouvement. Mais Jovenel Moïse avait donné des instructions de procéder à l’arrestation d’au moins 50 policiers identifiés comme étant des «têtes chaudes». Mais un contrordre a été lancé, car le chef de l’État se rendant compte qu’il était risqué, pour l’instant, de mener une telle opération. Et il n’a pas su donner une réplique à la mobilisation des policiers ayant déployés des centaines de policiers accompagnés de milliers de sympathisants et de membres de la population qui avaient pris les rues en solidarité avec eux.

L’ONA cible numéro 1

Réunis au Carrefour de l’Aéroport, lundi matin, les policiers, les sympathisants et la foule de personnes qui les accompagnaient ont mis le cap sur l’immeuble qui loge l’Office des Assurance Vieillesse (ONA), sur l’autoroute de Delmas. Sitôt arrivés sur place, les policiers ont fait irruption dans l’immeuble invitant employés et fonctionnaires à vider les lieux immédiatement. Ceux qui n’avaient, au début, compris la nature du mouvement hésitaient à obtempérer au mot d’ordre pour constater que les visiteurs inopportuns n’avaient pas hésité à lancer des bombes lacrymogènes contre eux. C’était aussitôt la panique; et le local s’est vidé sans plus tarder. Cette étape franchie, les manifestants se sont emparés des clés qu’ils ont emportées. Avant de continuer leur parcours, ils annoncèrent aux employés que l’ONA est fermé et qu’il ne leur reste qu’à rentrer chez eux.

Les locaux de l’ONA fermés, les policiers revendicateurs se dirigeaient vers l’immeuble où se trouve logé le Fonds de développement économique et social (FAES). Ayant pénétré à l’intérieur, ils ont, comme à l’ONA, invité les employés à quitter l’Office immédiatement, précisant que les locaux allaient être fermés. Même chose qu’à l’ONA: ces derniers ne s’empressaient pas de laisser les lieux. Sans perdre de temps, les grévistes ont presque saturé l’immeuble de gaz lacrymogène forçant les personnes qui s’y trouvaient à l’évacuer. Celles-ci devaient apprendre que les policiers étaient venus pour fermer les portes de FAE.

Après FAES, c’était au tour des Presses nationales de recevoir la visite des manifestants. Pour la troisième fois, cette journée du lundi 9 mars, les employés d l’État s’étaient vus forcer de quitter précipitamment leur lieu de travail, à coups de gaz lacrymogène, parce qu’ils ne voulaient pas, dans un premier temps, accéder à la demande des policiers. Mais ils avaient fini par évacuer l’immeuble des Presses nationales et s’en aller chez eux, les manifestants ayant fermé l’immeuble derrière eux.

Joseph Jouthe

Les policiers revenus à la charge le lendemain

Le lendemain (mardi 10 mars), les policiers sont revenus à la charge, ayant décidé de s’en prendre directement à la branche exécutive de l’administration publique. C’est pourquoi la première escale a été le Service d’Immigration et de Naturalisation. Arrivés sur les lieux, les manifestants ont annoncé la fermeture du Bureau, invitant immédiatement les employés à vider les lieux. Encore une fois, ils n’allaient pas faire économie de gaz lacrymogène, les employés se montrant réticents à obéir à l’ordre reçu. Mais les récalcitrants ne tardaient pas à obéir, car ils ne pouvaient résister à la toxicité du produit chimique dont l’effet s’est révélé encore plus dévastateur à l’intérieur de l’immeuble, dans un espace fermé.

Mission accomplie : mis hors de l’immeuble, les employés s’empressaient d’en sortir et d’abandonner le quartier, on ne peut plus contrariés de voir leur lieu de travail fermé par des gens qui ne font pas partie du personnel du Service d’Immigration et de Naturalisation.

Maintenant, cap sur l’immeuble où se trouve le ministère du Plan et de la Coopération externe. Il semble que les manifestants se soient rendus à cette adresse à la recherche du nouveau Premier ministre, Joseph Jouthe. Sachant qu’il détient également le portefeuille du Plan et de la Coopération externe, ils pensaient qu’ils allaient l’y trouver. Mauvais calcul !

Le même mot d’ordre a été passé aux employés de ce ministère, qui se sont précipité dans la rue, à l’arrivée des policiers parce qu’ils craignaient d’être gazés. Ce ministère a été complètement vidé de tous les gens qui s’y trouvaient, dans l’espace de trente minutes. Après avoir vidé trois entreprises autonomes de l’État, et un ministère de leurs personnels, les policiers en rébellion ont développé la maîtrise de ce travail. C’est pourquoi, ils ont pris encore moins de temps à mettre dehors les employés du ministère des Affaires sociales, où a été appliquée la même formule : personnel dehors + clés confisquées = employés en congé.

Au moment où les policiers se préparaient à se disperser, ils avaient vidé de leurs personnels, puis fermé aux affaires un total de quatre ministères et de trois entreprises d’État.

Qu’il soit dit, en passant que les manifestants ont mené leurs activités, durant les deux jours (lundi et mardi, 9 et 10 mars), sans encombre.

Normil Rameau

Rappelons aussi que jusqu’aujourd’hui (mardi 10 mars), les autorités policières et le Palais national n’ont pas encore réagi à ces manifestations par lesquelles les policiers ont prouvé qu’ils ont les moyens de lancer une telle opération et de la soutenir.

Sur tout le parcours de leur manifestation, ils avaient des armes de poing sur leurs personnes et arboraient d’autres de grands calibres.

On doit signaler également que, durant le premier jour de leur manifestation, les policiers s’étaient portés à la résidence privée du nouveau Premier ministre où ils ont eu une prise de gueule avec leurs confrères chargés d’assurer la sécurité chez le chef du gouvernement. Là, comme ils avaient fait dans les différents établissements vidés de leurs personnels, les manifestants ont mis à plat tous les véhicules exhibant la plaque «Service de l’État».

Dans d’autre cas, ce sont des véhicules officiels de luxe dont les pneus sont dégonflés ou bien ont eu les vitres cassées. Un témoin oculaire a même déclaré avoir vu le véhicule blindé d’un ministre dont toutes les vitres ont été brisées et la carrosserie trouée par des douilles.

Il est opportun d’attirer l’attention sur le fait que des membres de brigades spécialisées expédiés, dans le but de contrer les policiers mobilisés dans les rues, n’ont affiché au- ne agressivité à leur égard. Lors de leur rencontre, les agents du CIMO et du BOYD ont discuté avec sur eux un ton amical, sachant que les démarches syndicales que mènent la policière Joseph, de concert avec ses collègues syndicalistes, défendent la cause de tous les policiers.

Lors de leurs manifestations, durant les deux premiers jours de la semaine, les policiers ont déclaré qu’ils représentent l’unique force armée légitime sur le territoire national, comme pour dire que l’Armée remobilisée ne peut se mesurer à la PNH. Leur porte-parole a déclaré, en même temps, que la Police nationale « n’est pas une police municipale », mais constitue «une force de police nationale».

Les policiers jurent de continuer leur mouvement

Les policiers ont juré de continuer leur mouvement tout le temps que les autorités refusent de réintégrer la policière Yanick Joseph et ses quatre autres collègues congédiés de la PNH, à cause de leur militantisme syndical.

On notera que les démêlés qu’ont les policiers ont avec les dirigeants du pays leur refusant le droit de se regrouper en syndicat ont pour origine les démarches que les agents de la PNH entreprennent pour non seulement se regrouper en syndicat, mais aussi afin de créer les conditions pour que tous les policiers, à l’échelle nationale, soient mieux rémunérés, obtiennent de meilleures conditions de travail et accèdent à de meilleurs salaires.

Voilà les revendications minimales des policiers, un objectif qu’entendent atteindre tous les policiers généralement quelconques. Ceux qui pensent que tous les agents de la PNH n’aspirent pas à ces choses doivent commencer par se détromper.

Sans conteste, dans le cadre de leur mobilisation, les policiers ont mis le pouvoir en état d’infériorité. À la suite de ces deux jours de mobilisation, ils ont le vent dans le dos et le potentiel de continuer à s’imposer aux autorités. On ne sait vraiment ce qui, au bout du compte, portera les décideurs à donner raison aux militants syndicalistes de la PNH, qui, jusqu’ici, ne cessent de dire qu’il ne peut y avoir de syndicat à la PNH.

Rappelons que, après avoir pris la décision d’ordonner l’arrestation d’une cinquantaine de policiers, afin de les punir «pour les désordres» qu’ils ont commis, dans le cadre de leurs mobilisations, Jovenel Moïse a reculé. En réalité, lui et son équipe craignent d’affronter, maintenant, les policiers.

En tout cas, si Jovenel Moïse a été forcé de faire marche arrière par rapport aux mesures répressives qu’il a arrêtées contre des éléments de la PNH, il n’a pas, pour autant, renoncé définitivement aux arrestations et aux tortures qu’il planifie. De toute évidence, quoi que fassent les militants de la PNH, ils ne doivent pas oublier que l’équipe au pouvoir est capable de toutes les fourberies et de toutes les traitrises.

Décisions de dernière heure : Faut-il faire confiance à Jovenel Moïse ?

À la fin de la deuxième journée de mobilisation des policiers, et dans la foulée d’une réunion urgente du CSPN, le nouveau Premier ministre a annoncé des mesures de dernière heure pour ramener la paix dans les rangs des protestataires de la Police natale d’Haïti.

Joseph Jouthe a fait savoir que tout est mis en œuvre pour assurer satisfaction pleine et entière aux policiers, qui réclament leurs droits de se regrouper en syndicat.

Voici la teneur des dernières décisions prises relatives à la condition de vie des policiers. «Il est reconnue la reconnaissance de la possibilité pour les policiers à s’associer». Cela entraînera, ont expliqué les autorités, l’ «amendement du décret créant la PHH».

Elles ont indiqué qu’il sera précisé les termes de référence de l’association syndicale à créer.

Autre mesure annoncée : «Décisions de revoir ou de reconsidérer la mesure de révocation de quatre policiers».

Il semble qu’un policier soit porté disparu, puisque au total cinq policiers, y compris Yanick Joseph, ont été radiés du corps. Avant toutes considérations, les policiers revendicateurs doivent avoir une idée claire sur le nombre de policiers qui seront réintégrés.

Maintenant, le bâton. Les autorités ont également annoncé la mesure suivante : «Mise en mouvement de l’action publique contre les fauteurs de trouble de ces derniers jours».

Nonobstant les promesses du gouvernement, par rapport à l’organisation du syndicat des policiers et de la libération des agents de la PNH mis en disponibilité, en sus de l’amélioration des conditions de vie et de travail de tous les membres de l’institution policières, les observateurs avisés recommandent «prudence et vigilance». Car, comme le dit bien le proverbe créole : «Byen pre pa lakay».


Cet article est publié par l’édition de l’hebdomadaire Haïti-Observateur du 11 mars 2020 VOL. L No. 8, et se trouve en P. 1, 4 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/03/H-O-11-March-2020-1.pdf