Le Premier ministre isolé au sein de ses hommes par Léo Joseph

Le Premier ministre isolé au sein de ses hommes par Léo Joseph

  • Joseph Jouthe rejette l’idée de démissionner
  • L’ÉQUIPE AU POUVOIR NE SAIT OU DONNER DE LA TÊTE

Le Premier ministre de facto est dans la tourmente depuis le jour de son investiture par Jovenel Moïse, son patron. Depuis lors, les impairs, les déclarations mal venues et d’autres bévues langagières n’ont cessé de succéder. Considéré comme un intrus dans un paysage PHTKiste, cette semaine ne lui a pas apporté bonheur. Si Michel Martelly n’a pas été jusqu’au bout de sa demande qu’il rende son tablier, un autre parti proche du Palais national a tiré la sonnette d’alarme sur l’œuvre de démolition du gouvernement qu’il mène et demande carrément qu’il démissionne. Saura-t-il tenir bon ?

Il semble que Joseph Jouthe soit piégé au sein même de l’équipe qu’il dirige. Le coup fourré dont il vient d’être victime, sous forme d’un enregistrement de sa conversion privée dans laquelle il donnait libre cours à ses propos pleins de hargne, non seulement pour son ministre des Finances et des Affaires économiques, mais aussi pour la classe politique de l’opposition, dont certains, tout récemment, il faisait passer pour ses «amis».

En effet, quand des déclarations d’une allure incendiaires attribuées au Premier ministre de facto Jouthe circulaient sur les réseaux sociaux, notamment sur What’sApp, elles étaient, au prime abord, écartées d’un revers de main, tant qu’elles étaient jugées scandaleuses et invraisemblables. Mais quand des proches, voire même des parents du chef du gouvernement, ont certifié que la voix entendue dans la vidéo était bien la sienne, l’événement qui s’en est dégagé a pris une toute autre allure.

Tout d’abord, dans la conversation, entendue jusqu’à l’autre bout du monde, Joseph Jouthe, qui s’emportait et entrait dans une attaque virulente contre le titulaire des Finances, autour du budget 2019-2020 rectificatif, ne pouvait maîtriser sa colère. Il dit avoir infligé des coups de pied au ministre des Finances.

Le ministre des Finances, bouc émissaire ?

Le Premier ministre de facto Joseph Jouthe est bien pris» par cette personne qui a enregistré sa conversation scélérate, qui a été débitée à partir de Hinche. Il a été à la capitale du département du Centre, précisément pour faire la paix «à tout prix» avec des employés de l’État. Ces derniers avaient décrété la grève pour réclamer des autorités le paiement de «deux années de salaire».

On devrait aller au fond de l’intrigue pour démêler le faux du vrai. Joseph Jouthe s’est rendu à Hinche pour apaiser les employés en rébellion pour non-paiement de salaire par son gouvernement, bien que d’autres chefs de gouvernement avant lui devraient en assumer la responsabilité. Aussi s’est-il évertué, dans cette conversation, qu’il a tenue avec l’ex-sénateur Willo Joseph, à faire du ministre des Finances le bouc émissaire.

En effet, Joute a esquivé le blâme expliquant à ses interlocuteurs (les employés en rébellion) qu’il avait donné des instruction précises au ministre des Finances pour qu’il émette les chèques à l’ordre des hommes et femmes dont les paiements sont en souffrance depuis deux ans. Il a précisé que le grand argentier a refusé d’obtempérer à cette recommandation, prétextant que les lettres de nomination des employés n’étaient pas correctes (conformes aux nommes établies). Le ministre des Finances a pris le contre-pied des propos émis à son égard par son patron. Selon lui, réagissant en parlant avec des amis, la thèse proposée par le Premier ministre est totalement fausse. Au contraire, dit-il, c’est lui qui a ordonné de ne pas faire les chèques. Le contraire est faux, archi-faux.

Il semble que, par rapport à ce conflit les employés de l’État restés impayées depuis deux ans face au gouvernement Moïse-Joute, un conflit s’était développé ouvrant une guerre larvée entre le ministre des Finances et le Premier ministre. On ne devrait pas s’étonner que le titulaire des Finances prenne des dispositions conservatoires pour protéger ses arrières. En toute logique, si ce dernier savait que son patron le rendait responsable du non-paiement des employés, il allait certainement se présenter à ses interlocuteurs comme un défenseur de leur cause.

Un pays minable, des politiciens sans vision

On se demande pourquoi, alors qu’il se trouvait à Hinche, le Premier ministre de facto croyait qu’il était opportun de décharger sa bile à ce moment-là. Sur le pays aussi bien que sur les hommes et femmes qui vont chercher à se faire élire à l’occasion des prochaines élections.

Parlant d’Haïti, il pense qu’Haïti est loin d’être un pays. Deuxième chef exécutif du pays, il parle en connaissance de cause. Se penchant sur la réalité politique du pays chaque jour durant des heures, il sait de quoi il parle. Aussi continue-t-il, dans la foulée : «Le pays n’existe pas. C’est un pays qui n’existe ni sur papier, ni dans le réel».

À propos des personnes de l’opposition qui entendent briguer le pouvoir, qu’est-ce qui les motive, et pourquoi veulent-ils arriver au pouvoir. Aussi demande-t-il pourquoi ces gens-là veulent diriger un pays comme Haïti. «Quelqu’un qui se porte candidat pour un poste électif en Haïti qu’est-ce qu’il veut diriger au juste ? ». Il accuse ces politiques d’être à l’origine de la création des gangs qui sèment la mort et le deuil dans le pays.

Jouthe a déclaré avoir rejeté le budget rectificatif qui lui a été soumis par le ministre des Finance parce qu’«il ne reflète pas le rêve politique du président de la République». Il a énuméré toute une série d’articles qui n’ont pas été pris en ligne de compte dans ce budget. Il a fait état du paiement des arriérés de salaire aux employés; des taxes supplémentaires sur les marchandises non taxées, autrement sous taxées qui transitent par la frontière haïtiano-dominicaine; de nouvelles taxes sur des hommes d’affaires étrangers qui se sont fixés en Haïti, etc.

Sur ces entre-faits, il faut se de mander ce que Joseph Jouthe est venu chercher dans cette galère. Si Haïti est un pays qui n’existe pas, pourquoi a-t-il accepté de devenir le Premier ministre de Jovenel Moïse ? Est-il prêt à dire que lui et Jovenel Moïse ont des talents spéciaux pour diriger Haïti ? C’est pourquoi qu’au mo ment où la pandémie du COVID-19 décime les gens à l’échelle du monde et commence à s’attaquer à Haïti, son gouvernement invite les citoyens à retirer leurs cartes électorales par centaines en ligne devant le bureau du NIF ?

Si la grande majorité des partis et formations politiques n’ont pas encore réagi à ces propos de Joseph Jouthe, un transfuge de la formation politique Vérité, créée par le défunt président René Préval, la plateforme politique Bouclier a adressé une lettre aux dirigeants du pays leur demandant d’éjecter Jouthe de la primature. De son côté, le chef du gouvernement a déclaré qu’il ne démissionne pas.

À coup, sûr les propos tenus par Joseph Jouthe vont déclencher un débat très animé qui tournera autour de l’intérêt qu’il présente pour le pays en tant que chef de la primature. L.J.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. L No.18 New York, édition du 13 mai 2020 et se trouve en P.1, 5 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/05/H-O-13-mai-2020-1.pdf