Y-a-t-il collusion entre le régime Moïse-Jouthe et la Digicel ? par Léo Joseph

GESTION OPAQUE DES FONDS DESTINÉS À LA LUTTE CONTRE LA COVID-19

  • Y-a-t-il collusion entre le régime Moïse-Jouthe et la Digicel ? par Léo Joseph

À l’heure de la COVID-19, qui devrait inciter tout le monde ― y compris même les politiciens retors du régime tèt kale ― à de meilleurs sentiments, Jovenel Moïse et son équipe ne semblent pas avoir pour autant changé leur fusil d’épaule, dans la gestion des affaires publiques. Car le peuple haïtien est toujours tenu dans le noir par rapport aux millions supposément investis dans la lutte contre ce fléau. L’initiative «Mon Cash», autre créneau inventé par Nèg Bannann nan pour détourner les fonds publics, permet à ce dernier de se réinventer dans la corruption. Pour mener à bien son entreprise mafieuse, il exploite l’expertise de la compagnie de téléphone cellulaire Digicel, qui semble s’y bien prêter. Au départ, il faut poser la question : au rythme où s’effectuent présentement les paiements par le truchement de la Digicel, quand la dernière des 1,5 millions de familles se trouvant dans l’attente des 3 000 gourdes recevra-t-elle son argent ?

En effet, depuis qu’a été annoncée la collaboration de l’entreprise de Maarten Boute à cette combine du régime en place, les cris de scandale d’opacité fusaient de toutes parts. Car Jovenel Moïse et ses proches collaborateurs n’ont pas jugé nécessaire d’informer le pays par rapport aux tournants et aboutissants de ce procédé. Formalité automatiquement introduite par tout gouvernement respectueux des principes démocratiques. De son côté, la Digicel s’est montrée avare d’explications, en ce qui a trait à ses responsabilités et les avantages qu’elle récolte pour ses services. Quand on constate que, dans le cadre du programme «Mon Cash», Jovenel Moïse affiche les mêmes principes de gestion qu’il pratique dans d’autres projets, du genre «Ede pèd», «Ti-mannan cheri», ou encore dans d’autres initiatives sociales mi ses sur pied aux fins de détournements de fonds publics lancées sous les deux régi mes tèt kale dirigés par Martelly et Moïse, les mêmes méthodes étant utilisées, on ne peut que penser qu’il vise le même objectif dans l’élaboration de ce dernier programme exécuté conjointement avec la Digicel.

Dans combien de temps toutes les familles annoncées recevront les 3 000 gourdes promises ?

En raison des promesses non tenues de Jovenel Moïse, depuis sa prestation de serment, le 7 février 2017, d’aucuns ne peuvent s’empêcher de douter de la sincérité de son programme «Mon Cash», surtout en tenant compte de la manière dont se réalise le décaissement. On se rappelle que ce processus avait été initié avec une première liste de 22 888 familles soumises à la Digicel. Dans la mesure où, selon le protocole établi, 72 gourdes sont attribuées comme frais de décaissement, les premiers bénéficiaires toucheraient un total de 68 664 000 gourdes. En raison de 103 gourdes pour un dollar, cela représente USD 666 640 $.

Sans l’ombre d’un doute, le processus de décaissement du programme «Mon Cash» se fait à un rythme super lent. Plus de deux semaines après qu’eut été transféré la première liste à la compagnie de téléphone chargée de la distribution, l’administration Moïse-Jouthe en a acheminé une autre. C’est ce qu’a annoncé la distributrice de la somme promise par le chef de l’État.

À l’analyse des faits disponibles, rendus possibles par la malice de la présidence, on peut conclure que l’équipe Moïse-Jouthe ne dispose pas des ressources nécessaires pour mener à bien sa politique. Voilà pourquoi Jovenel Moïse s’est vu obliger d’effectuer par compte-gouttes les décaissements prévus dans le cadre du programme «Mon Cash». Cette situation conforte l’argument selon lequel rien n’autorise à croire que cette initiative puisse arriver à sa conclusion logique, c’est-à-dire verser la somme promise à toutes les 1,5 millions de familles.

Projet « Mon Cash » : Le grand mystère de Jovenel Moïse

Les observateurs les plus avisés cherchent à comprendre la logique du projet «Mon Cash» dont les grandes lignes ne sont pas connues. Il semble se modeler sur ceux mis en œuvre dans d’autres pays où sa mise en application ne laisse aucun doute quant à sa réussite, car articulés de manière rationnelle. En Haïti, Jovenel Moïse s’est lancé dans cette aventure sans savoir comment il va procéder puisqu’ignorant d’où viendra le premier million de dollars pour son financement. C’est ce qui explique le décaissement par stilligouttes que pratique la Digicel.

En dépit des critiques formulées à l’égard du projet «Mon Cash», le président haïtien n’arrive pas à calmer ses détracteurs, ni rassurer tous les bénéficiaires de cette subvention promise à ces 1,5 millions de familles.

En effet, à raison de USD 28 $ par famille, un budget de USD 42 millions $ serait nécessaire. Or, ce budget n’existant pas, on est en droit de conclure que les fonds ne sont pas disponibles. Jovenel Moïse est forcé de grappiller ici et là quelques millions de gourdes dont les deux premiers versements ont été expédiés à la Digicel.

Tout laisse croire que le chef de l’État a recours au même procédé qu’il a utilisé pour financer le lancement de son premier projet phare, la «Caravanne du changement». Il comptait, au début, sur le Banque interaméricaine de développement, dont le président est Luis Alberto Moreno. Ce dernier avait suscité de grands espoirs chez le président haïtien en décernant une note favorable à ce projet. Mais le patron de la BID devait confronter l’opposition du Conseil d’administration de l’institution ayant passé au peigne fin les mauvaises notes encaissées par Moïse, notamment en raison de sa prestation de serment sous le coup d’une inculpation pour blanchiment des avoirs; aussi à cause de sa gestion calamiteuse des finances d’Haïti et sa réputation de quémandeur de pots de vin. Mais c’est encore la corruption dont il fait son apanage qui lui a valu d’être ostracisé par rapport à l’aide internationale.

On connaît comment le projet de la Caravane du changement a tourné court. Les ponctions qu’il effectuait initialement sur de budget des ministères et secrétairerie d’État ainsi que des entreprises autonomes de l’État, où il glanait ce financement, ne suffisait pas pour supporter le poids d’un tel projet. L’arrêt des chantiers de la Caravane, que le chef d’État déclarait temporaire, est devenu permanent.

Qu’en est-il de l’aide offerte pour lutter contre la COVID-19 ?

Il semble que les espoirs suscités par l’aide offerte à Haïti par la communauté internationale, en vue d’aider le pays à lutter contre la pandémie de la COVID-19 se soient évanouis. Une fois que l’annonce a été faite que les Américains, l’Union européenne et les institutions de la haute finance internationale (Banque mondiale, Fonds monétaire internationale, Banque interaméricaine de développement) avaient pris l’engagement de financer la lutte contre ce fléau, Jovenel Moïse et son équipe se frottaient les mains de contentement, prévoyant les possibilités d’ouvrir la dance des millions. Ils s’imaginaient qu’ils allaient pouvoir faire des allocations vagues à qui mieux mieux. Voilà pourquoi le président haïtien est allé vite en besogne, jusqu’à lancer le dernier projet social appelé «Mon Cash».

En pratique, ce dernier projet de Jovenel Moïse est mort-né. Puisqu’il ne pourra jamais trouver les fonds nécessaires pour s’acquitter de ses promesses à tous les 1,5 millions de familles. Et Nèg Bannann nan ne sait où donner de la tête pour éviter de confirmer sa réputation de «menteur invétéré», dans le cadre de la mise en œuvre de «Mon Cash». La frustration qu’endure l’occupant du Palais national, forcé de se colleter avec la maladie, alors qu’il est dépourvu de moyens de financer directement les acquisitions liées à celle-ci.

La communauté internationale traitée de «malpropreté»

La plus grosse part de l’aide internationale, en espèce, fournie par la communauté internationale à Haïti passe par deux Organisations non gouvernementales (ONG), qui sont Zanmi Lasante, basée à Mirebalais, dirigée par le Dr Paul Farmer; et le Centre Gheskio, dirigé par le Dr William Pape, dont le quartier général se trouve à Port-au-Prince.

Cela veut dire que les millions mis à la disposition d’Haïti, dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, passe par ces deux organisations qui en contrôlent la manière dont ils sont dépensés. On comprend pourquoi Jovenel Moïse a utilisé un terme péjoratif à l’égard de la communauté internationale. En ce sens, il est victime de la même indiscrétion qu’a connue le Premier ministre Joseph Jouthe, quand, lors d’une conversation avec l’ex-sénateur Willo Joseph, les propos incendiaires qu’ils tenaient à l’endroit des hommes politiques du pays ont été entendus globalement. Lors d’une réunion en privé avec ses collaborateurs, le président haïtien a traité «tout ce monde» de «malpropreté». Il n’a épargné personne, même les diplomates qui ont la réputation de «collaborer» avec lui.

En vertu des décaissements déjà effectués, Jovenel Moïse reste devoir USD 39 359 136 $ à 1 millions 497 mille112 familles. Dans l’hypothèse que la Digicel continue d’émettre ses communiqués chaque fois qu’elle reçoit une nouvelle liste du gouvernement, nous prenons l’engagement de suivre l’évolution des paiements effectués sur le compte «Mon Cash». L.J.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. L No.19 New York, édition du 20 mai 2020 et se trouve en P.1, 5, 14 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/05/H-O-20-mai-2020-1.pdf