Quand Duvalier écrasait la guérilla communiste au Cap-Haïtien par Charles Dupuy

LE COIN DE L’HISTOIRE Par Charles Dupuy

  • Quand Duvalier écrasait la guérilla communiste au Cap-Haïtien

Moins d’un mois après l’annonce officielle de sa création, le Parti unifié des communistes haïtiens, le PUCH, inaugurait sa guerre subversive contre le gouvernement de Duvalier. Dans les petits villages de Casales et de Kinscoff, dans les villes du Cap et de Port-au-Prince, les militants communistes échangeaient des coups de feu avec les militaires dans de violentes batailles rangées. Le 2 juin 1969, vers six heures du matin, vingt-deux activistes étaient attaqués dans leur retraite de la ruelle Nazon, à Port-au-Prince. «Tous furent tués par les forces de l’ordre, selon un rapport du colonel Breton Claude, à l’exception de deux femmes : Rosélia Roséus et Bernadette Louis (Gertrude) dont l’une avec un bébé de huit mois et qui tentait de prendre la fuite; elles ont été faites prisonnières » (Le Nouveau Monde du 3 juin 1969). Après l’hécatombe, on releva les cadavres de Jean-Pierre Salomon, Dérisma Laurent, Surpris Laventure, François Darius, Gaston Savain, Racine Codio, André Dumont, Rodrigue Barreau, Gaveau Desrosiers, Kesnel Jean, Prosper Estiverne, Paul Max Belneau, Willy Joseph, Augustin Elien et André Raymond. Parmi les morts, on identifia les membres du comité central du parti, Niclerc Casséus, Jacques Jeannot, Daniel Sansaricq, Gérard Wadestrand ainsi que l’avocat et économiste Gérald Brisson, le chef du PUCH, l’âme de l’insurrection communiste.

Un mois plus tard, c’était au tour des militants marxistes du Cap-Haïtien de se faire écraser. Voici la relation des événements, telle que faite par le préfet de la ville, M. Émile Auguste, au journaliste du quotidien Le Nouveau Monde, M. Nelson Bel l: «Depuis quelques jours, a déclaré M. le préfet, on était venu nous signaler la présence au Carénage de gens drôles, suspects, qui n’étaient pas du Nord et habitaient à la rue 27. On les surveillait de près quand le mercredi 2 juillet, un agent de la police les rencontra à la rue 14-H et leur demanda de s’identifier. Un violent dialogue s’ensuivit au cours duquel un homme, Raymond Jean-François, alias Jean-Louis devait rester sur le carreau. Raymond Jean-François, connu au Cap sous le nom de Raymond Jean-Louis, était un leader communiste dangereux que la police recherchait depuis plusieurs mois. Ce mercredi 2 juillet, il était accompagné d’une jeune dame qui déclare se nommer Sonia Georges, un agent communiste notoire, se disant originaire des Gonaïves, ainsi que du nommé André Jean-Pierre, un autre militant marxiste. Quand le policier lui demanda de décliner son nom, Raymond Jean-François refusa net […] Il fit feu sur le soldat qui ne fut pas atteint et prit la fuite». Le préfet fait alors le récit de la cavale en vélo de Raymond Jean-François qui se termina à la rue 5- H lorsque le fuyard va se retrouver face à face avec l’agent Ibsen Lafleur qui le tua à bout portant avec son arme de service.

«Ce même jour, ajouta M. le préfet Émile Auguste, la police procéda à l’arrestation du nommé André Jean-Pierre qui fut identifié comme le principal agent de liaison entre les cellules communistes du Cap-Haïtien et celles de Port-au-Prince. […] Un peu plus tard eurent lieu, à travers la ville, des perquisitions domiciliaires et des enquêtes policières au cours desquelles, nous apprend le représentant de l’exécutif, des aveux complets ont été obtenus.

«Dans la matinée du 5 juillet, il y eut un grand émoi au Carénage. Un agent de la police se présente à la rue 29, en face de la maison de résidence de la famille Cartwright, et demande pour le maître de céans. Celui-ci se fait attendre. Le policier franchit le seuil. On ouvre le feu sur lui et il est gravement blessé. Immédiatement, la maison est envahie par les soldats et il y eut échange de coups de feu. On arriva à mettre la main au collet de trois éléments communistes de première valeur, que la police recherchait depuis longtemps : Élie Dessources, Job Jean et Robert Jean-Paul. Les trois furent blessés. Un quatrième, que l’on croit être Joseph Jacques, a été trouvé mort samedi dans l’après-midi sur le toit de la maison de la rue 29. […] Le cadavre ne portait la trace d’aucune blessure. Suicide ou arrêt du cœur ? On ne sait» (Le Nouveau Monde du 5 juillet 1969). Le préfet Auguste termine l’entretien en promettant que la lutte allait se poursuivre sous le signe de ce qu’il appelle le «duvaliérisme constructeur». Il oublie toutefois de mentionner que les maisons occupées par les communistes furent toutes pillées et détruites par la populace sous l’œil bienveillant des autorités. Il ne fait pas grand cas non plus des exactions, détentions abusives et exécutions sommaires qui s’étaient inutilement multipliées pendant cette période trouble. Rappelons enfin que, pour l’essentiel, toutes ces opérations avaient été coordonnées par le capitaine Gérard Louis, le chef de la police du Cap à l’époque (1). Maintenant aux abois, les militants communistes n’ont plus que la fuite comme solution. Partout au pays la police politique pourchassait les marxistes-léninistes ou prétendus tels. Cette répression anti-communiste, qui fit de nombreuses victimes innocentes dans toutes les catégories sociales du pays, sera plus tard reconnue comme la plus longue et la plus cruelle de toutes celles jamais entreprises par le pouvoir duvaliériste contre ses opposants. La campagne des communistes contre le régime de Duvalier résultait donc en un piteux échec, en une sinistre tragédie. Cette initiative inconsidérée procédait d’une grossière erreur d’analyse de la part des dirigeants communistes qui avaient mal apprécié les rapports de force dans ce combat qu’ils allaient livrer contre Duvalier. La défaite des communistes allait offrir un second souffle inespéré à la dictature sanguinaire de Duvalier qui, maintenant tout à fait indifférente face à l’opinion internationale, au mépris des libertés publiques, du droit et de la morale, pourra continuer à exercer sa violence et sa brutalité, à commettre impunément les plus barbares atrocités contre la population.(1) Le 2 juillet 2019, soit cinquante ans après ces événements, Madame Myrtha Gilbert publiait cette note de presse dont nous reproduisons ici un extrait : « Ce 2 juillet 1969, Raymond Jean-François n’a pas eu la chance de se défendre, à cause d’une défectuosité de son arme. Pour semer ses poursuivants, il aurait pu fuir au milieu des marchandes (il était proche du marché). Il ne le fit pas, par peur d’exposer leur vie. Et il paya de la sienne cette ultime démonstration de générosité. Il fut exécuté à bout portant par l’un de ses poursuivants. La militante Adrienne Gilbert qui l’accompagnait fut arrêtée. Après l’exécution de Raymond près du marché du Cap-Haïtien, au coin de la rue 5, son cadavre fut transporté à la morgue de l’hôpital Justinien où il eut la tête tranchée sur ordre du capitaine Gérard Louis. C’était le vœu de papa doc, qui voulait sur son bureau les têtes de ses plus solides adversaires. À l’époque les communistes haïtiens. Plusieurs autres camarades seront également arrêtés le même jour, comme Aymard, le jeune frère de Raymond. Adrienne Gilbert emmenée aux casernes du Cap-Haïtien fut sauvagement maltraitée par une horde de macoutes aussi capons que féroces. L’un d’eux, mécontent d’avoir couru pour les rattraper, lui éclata le crâne d’un coup de revolver. Raffinement de cruauté, le capitaine Gérard Louis emmena dans son véhicule deux prisonniers, Aymard Jean-François, le jeune frère de Raymond, et Adrienne Gilbert. Cette dernière dut faire le voyage Cap-Haïtien/Port-au-Prince avec, au milieu de ses jambes, le seau contenant la tête de son camarade Raymond, récemment exécuté».C. Dupuy coindelhistoire@gmail.c om (514) 862-7185


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. L No.20 New York, édition du 27 mai 2020 et se trouve en P.3, 5 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/05/H-O-27-mai-2020-1.pdf