ZAFEM : Un tournant dans l’histoire de la musique de danse haïtienne par R. Noël

ZAFEM : Un tournant dans l’histoire de la musique de danse haïtienne

  • DIVERTISSEMENT ET SPECTACLE
  • par Robert Noël
  • P.9, 14

L’histoire, dit-on, est un perpétuel recommencement. Pourtant, chaque période a ses besoins et ses exigences. De nombreux analystes de l’univers HMI ont souvent évoqué le déclin du « konpa dirèk», sans jamais proposer de solution pour remédier la situation.

Sans prendre la mesure de la situation, de nombreux musiciens de l’univers de cette danse ont laissé entendre que ce genre musical se portait bien. C’est l’arrivée de ZAFEM sur la scène musicale, qui a fait réaliser qu’une innovation était possible. Cette musique de dance a produit un album de 16 titres, qu’elle a présenté sur les réseaux sociaux. Cette stratégie a eu un impact instantané sur le grand public, suscitant une réponse enthousiaste, lors des deux soirées de grande première de ZAFEM, les 8 et 9 juillet 2023, au Melrose Ballroom, à New York.

Ces soirées ont marqué un tournant historique pour les musiciens de cette nouvelle formation musicale.

La ponctualité exemplaire de ce nouveau groupe, et son respect des valeurs sont des exemples à suivre. ZAFEM a fait la différence, ce soir-là, par sa ponctualité, ce qui le place au-dessus de la moyenne. En clair, cette formation musicale comprend bien que «après l’heure n’est plus l’heure», comme dit le proverbe. Il est in concevable qu’une soirée programmée à une certaine heure commence avec deux heures de retard ou plus. Parmi les moments marquants de cette grande première, il est important de souligner leur respect des valeurs.

ZAFEM a rendu hommage aux artistes disparus, à travers des images et de la musique, montrant ainsi que les étoiles ne disparaissent pas vraiment, mais qu’elles deviennent plutôt invisibles.

Signalons que Carel Pèdre et Philippe Saint-Louis ont rempli leur rôle de maîtres de cérémonie avec brio, évitant d’éterniser dans des discours superflus, soucieux d’offrir des interventions directes et concises. Cela n’a pas empêché qu’ils pèchent par omission au moment de l’introduction des artistes en lisse. D’aucuns leur reprochent d’avoir d’être parvenus trop tôt à cette phase. Ils auraient pu attendre que les musiciens soient sur scène pour les pour les annoncer.

En effet, ils ont oublié de mentionner le bassiste, ne le faisant qu’après qu’il ait quitté le podium, et cela en réponse à une demande du public. Toutefois, le nom de ce dernier n’a pas été signalé, ayant omis de le mentionner.

À proprement parler, ZAFEM est profondément enraciné dans la tradition haïtienne. L’ouverture de la première soirée en a été la preuve, avec une danse folklorique mettant en scène une danseuse vêtue de blanc portant deux fanions, noir et rouge, symbolisant la folklore haïtien. On a l’impression que les vibrations du tambour résonnait jusqu’au cœur de l’Afrique, un constat palpable.

Les tenues vestimentaires des musiciens, en particulier celles de Dener Céide et Réginald Cangé, ne passaient pas inaperçues. Confectionnés par des couturiers haïtiens, ces vêtements nés en Haïti, privilégient les créations locales plutôt que les coutures de designers étrangers. Contrairement à d’autres groupes haïtiens, qui font de la publicité gratuite pour des modélistes étrangers, ZAFEM ne s’est présenté sur les lieux du spectacle ni dans des voitures de luxe ni vêtus de ceintures ou chaussures haut de gamme. Car pour ces musiciens, la véritable richesse ne réside pas dans l’exposition matérielle, mais dans les valeurs intrinsèques.

On n’a pu s’empêcher de noter Réginald Cangé tenir souvent dans sa main un objet assimilable à une calebasse exhibant une lumière discrète, diffuse, qu’on dirait visible aux initiés. Le décor est riche en symbolisme. Dans la foulée, la deuxième soirée marquant la révélation de ZAFÈM au public, ces deux musiciens portaient une chasuble beige avec des motifs rappelant de loin une chaîne d’ADN.

Les choristes de ZAFÈM, deux voix féminines et un masculin, étaient décemment vêtus. Contrairement à certaines chanteuses, exposant leur corps, ces artiste ne se laissent pas séduire par la tendance à la nudité ou presque visant à attirer l’attention. Le talent ne s’exprime pas par l’exhibition corporelle. ZAFEM semble apporter une révolution dans ce domaine.

Parmi les chanteurs de ce groupe musical, se signalent Ludwine Joseph, un talent confirmé et prometteur. Elle représente un atout majeur pour la formation pour ce groupe et pourrait même, un jour, prendre la tête du chant lead. Son talent vocal a été cultivé dans l’une des écoles de musique les plus prestigieuses de New York, et elle a déjà sorti son propre album.

Le répertoire de ZAFÈM est déjà bien connu du grand public, qui a chanté en chœur avec le groupe lors de ses dernières prestations.

Cette familiarité est due à la simplicité et à la musicalité des mélodies choisies par Dener Céïde. Aussi, les musiciens ont-ils offert aux invités une variété de morceaux, exécutant des chansons de leur premier album ainsi que des reprises, en hommage à des artistes, tels que Coupé Cloué, DP Express, Digital Express Ansyto Mercier et d’autres.

Un hommage émouvant a été rendu à Manno Charlemagne et à Beethova Obas, en guise de respect porté par Dener et Réginald aux aînés et à la communauté de Carrefour. La reconnaissance est la mémoire du cœur, comme le dit l’écrivain danois Hans Christian Andersen.

Même Coupé Cloué a été honoré à travers la chanson «Atann pou n antann nou ». Tout cela à pour objectif de communiquer le message d’amour et d’unité proclame dans musique de ce groupe, évitant ainsi le sentier battu des polémiques qui, trop souvent, caractérise les groupes musicaux haïtiens.

ZAFÈM se distingue également par son originalité. À l’opposé des autres groupes, il ne s’entoure pas de groupies, de resquilleurs ou d’intrus de l’an 2000 sur scène. Cette originalité s’exprime également dans leur musique, grâce à des structures différentes de celles des déjà en existence.

Le succès de ces musiciens suscite une certaine tension et une appréhension au sein des groupes rivaux, tant anciens que contemporains.

Certains essaient de minimiser cet engouement provoqué par le nouvel orchestre, relançant les hits des années 70; mais indéniablement, ZAFÉM a créé un enthousiasme sans précédent, démontrant qu’il s’est taillé une place bien méritée sur la scène musicale. Souhaitons que cette nouvelle formation musicale de continue son chemin avec succès et de récolter les fruits de son dur travail.

Plus d’un pense que Dener Céïde s’est bien révélé au public. Un membre du public a lâché : «Dener Céide a brillamment joué le rôle de maestro, affichant la maîtrise du métier. Il est essentiel de reconnaître le rôle méticuleux qu’il a joué, en tant que maestro, s’assurant que chaque détail est soigneusement orchestré, du côté des choristes. Il a maintenu un contact permanent avec le batteur, assurant la cohésion des acteurs.

Cet homme aux multiples oreilles a accompli une multitâche impeccable, garantissant la perfection de l’ensemble de l’ensemble des musiciens. Il a même supervisé les interventions de Réginald.

On ne peut qu’admirer la sagesse dont fait preuve le chanteur.

Réginald a mûri, en âge et en sagesse. Les fans des groupes musicaux concurrents prétendaient que Réginald et Dener n’allaient pas pouvoir créer un groupe sérieux, en raison de leurs tempéraments ardents. Si certains pensent qu’ils sont excentriques, alors le monde a besoin davantage de passionnés comme leurs. Ils gèrent avec succès l’aspect commercial de la musique.

Le tambourineur, quant à lui.

Évoque, en quelque sorte, Camille Armand, qui intègre souvent d’autres éléments musicaux évoluant dans l’univers du « konpa direk », au sein du konpa dirèk, sans perturber l’harmonie. Son approche est à la fois rare et simple. La section cuivre est parfaitement à sa place, sa sonorité étant comparable à celle de Kassav, conférant une touche résolument moderne. Le claviériste-keyboardiste contribue, avec mesure, à l’essence pure de ZAFÈM. Selon moi, son rôle prédomine, même par rapport à la guitare, contrairement à la formule « son lari a ».

Le tombassiste (gongiste) suit un style empreint de simplicité, témoignant sa maîtrise de l’instrument.

Jouer du tombasse (gong-cloche de bœuf-cowbell) ne se limite pas à émettre des sons et des rythmiques, Il faut garantir des frappes régulières et précises sur la caisse. Ce gongiste respecte rigoureusement son intervalle dédié, agissant tel un métronome au sein de l’orchestre. Malgré quelques imperfections, la soirée fut une réussite et les ajustements nécessaires ont été apportés, dès la seconde représentation.

Tout compte fait, le groupe ZAFÈM a relevé le défi avec brio. Aucun doute, il a surmonté de grandes épreuves pour s’imposer dans le paysage musical haïtien.

Malgré le succès de la première soirée, des doutes persistaient parmi les observateurs, estimant que ZAFÈM devrait se surpasser, lors de sa deuxième prestation. Cette attente a perduré jusqu’au 29 juillet, à Miami, en Floride.

Le programme du 9 juillet, ne différant pas sensiblement, sur le plan musical et du spectacle, par rapport aux prestations précédentes, l’impression dominante est que ce programme était encore plus captivant. En combinant ces deux soirées, le groupe ZAFÈM a brillamment réussi et s’est hissé au niveau supérieur.

Dener et Réginald doivent saisir les en jeux commerciaux de la musique ainsi que les risques inhérents à ce monde musical complexe où règnent haine, jalousie, magie et hypocrisie pour s’imposer définitivement.

On ne peut s’empêcher d’admettre que toutes les prestations de ZAFÈM ont été couronnées de succès : New York, Philadelphie, Boston, Miami et les Bahamas. Celle de Miami, le 29 juillet 2023, au Club M2, a particulièrement marqué les esprits, grâce à son vaste espace et à une sonorisation largement appréciée du public. À lui seul, ZAFÈM a rempli le club s’étendant sur 35 000 pieds carrés. J’ose avancer que les musiciens de ce groupe sont probablement les mieux rétribués de l’industrie musicale haïtienne (HMI). ZAFÈM a véritablement bouleversé l’univers musical de danse haïtien.

« La critique est aisée »

En 2020, un animateur originaire de Bassin Bleu, en Haïti, avait établi une analogie entre ZAFÈM et l’ancien président des États-Unis Donald Trump, qui avait perdu les élections, du fait de sa volonté de tout faire en solo. Ce même animateur avait prédit que ZAFÈM ne pourrait pas réussir sans le soutien des animateurs radio de l’univers HMI. De toute évidence, ce groupe musical repousse cette théorie. Ses prestations autorisent à prendre le contre-pied de la prédiction de cet animateur.

La dialectique nous permet d’adopter des opinions divergentes sur un même sujet ou objet. Cet animateur était présent, lors de la seconde soirée de ZAFÈM, à Melrose Ballroom.

Malgré ses tentatives pour justifier son point de vue antérieur, ses propos ont semblé être un cri dans le désert resté sans écho.

Il est important de souligner qu’une trop grande justification peut nuire et trahir une certaine forme de culpabilité. La diversité des groupes musicaux est essentielle pour entretenir une compétition honorable.

ZAFEM suscite des remous Le succès de ZAFÈM a engendré une certaine tension et une appréhension dans les milieux musicaux haïtiens, tant parmi les groupes d’antan que des formations actuelles. Certains musiciens m’ont fait parvenir des articles de journaux évoquant les hits parades des années 70, comme pour rappeler que leurs groupes aussi avaient connu la gloire à leur époque.

D’autres tentent de faire valoir que cette effervescence provoquée par ZAFÈM est loin d’être inédite. Ayant vécu mon adolescence aux États-Unis, je n’ai jamais été témoin d’une telle ferveur entourant un groupe musical, même avant sa grande première.

En toute franchise, souhaitons la bienvenue à ZAFÈM dans le monde de l’HMI. Le groupe s’est déjà imposé sur la scène musicale. Espérons qu’il poursuive son trajectoire avec succès et récolte des lauriers bien mérités.

  • robertnoel22@yahoo.com
  • Dener Ce ́ïide et Réginald Cangé, créateur du groupe musical
  • ZAFÈM en concert.

Cet article original qui fait foi, est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur (version modifiée), VOL. LIII, No. 28 New York du 9 août 2023 et se trouve en P.9, 14 à : h-o 9 aout 2023

Haïti-Observateur / ISSN: 1043-3783