Des exilés et prisonniers politiques

Des exilés et prisonniers politiques sous l’administration de Jovenel Moïse

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître quand on considère l’ensemble des discours et prises de
positions publiques des ténors de l’administration Moise-Lafontant, des citoyens de la cité du drapeau
croupissent en prison, sont dans le marquis ou vivent à couvert parce qu’ils sont indexés comme instigateurs de « complot contre la sûreté de l’État ».
En effet, ce terme évoque citoyen haïtien, se rappelant les exactions commises par le régime duvaliériste trente ans durant. Comme une imparfaite duplication de ce régime, Jovenel a sur la conscience des familles abandonnées, larmoyées et déchirées, tandis que ses mains sont maculées du
sang des victimes de l’Arcahaïe.

Pour ceux qui n’ont pas suivi les événements, pour quel que raison que ce soit, voici un rappel des faits qui ont endeuillé des familles et jeté la panique ai sein de la vaillante population d’Arcahaïe.
En effet, le 14 août 2015, le président Joseph Michel Martelly a fait paraître, dans le journal officiel, Le Moniteur », un décret préalablement signé au Palais national le 22 juillet 2015, amputant la commune
de l’Arcahaie de sa plus riche partie contenant sa côte, ses hôtels et ses plages commerciales. Ce qui a déclenché la juste révolte des habitants dont la municipalité se trouve, désormais, privée, des ressources générées par les activités touristiques.

Indignés à juste titre, la population est descendue dans la rue par milliers. La commune a connu des moments extrêmement difficiles : tueries, incendies des biens de la population, actes de vandalisme,
violences et emprisonnement, montage de faux dossiers accusant les manifestants de tous les crimes au monde.
Pour contrecarrer le mouvement populaire, les responsables de la Police nationale d’Haïti, sous les ordres du Premier ministre d’alors, en l’occurrence, Evans Paul, dit K-Plim, ainsi que le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Pierre-Richard Casimir, respectivement président et vice-président du Conseil supérieur de la Police nationale d’Haïti (CSPN) ont fait déployer dans la cité les unités  spécialisées telles : le Corps d’intervention pour le maintien de l’ordre (CIMO), l’Unité départementale pour le maintien de l’ordre (UDMO) et la Brigade d’opération et d’intervention départementale (BOID). Sans se soucier le moindrement du bien-être des citoyens, ces agents ont incendié des biens privés, gazés la population; les agents du BOID ont tiré à hauteur d’homme sur des manifestants sans armes.

Sur ces entrefaites, les manifestants ont dressé des barricades enflammées sur la route, incendié des véhicules, en sus de lancer des pierres sur les forces de l’ordre. L’école a cessé de fonctionner à l’Arcahaie deux mois durant, septembre et octobre 2015. Parents d’élèves et professeurs, bref tous ceux qui vivent du secteur éducatif ont été pris au dépourvu. Des tirs nourris nourrissaient le quotidien de la population La population, par l’entremise de ses représentants, a porté plainte par-devant les
instances concernées pour que cesse le massacre. Finalement le gouvernement a fait courir une rumeur faisant croire au retrait du décret litigieux. Croyant avoir obtenu gain de cause, la population croyait qu’ il n’y avait plus aucune raison d’investir la rue. Aussi elle était-elle rentrée chez elle tout
naturellement.
En 2016, il y a eu de nouvelles élections, mais le gouvernement de Joseph Michel Martelly et la population archeloise n’ont pas su enterré la hache de guerre. Celle-ci a voté contre le PHTK (Parti
haï tien tèt kale), la formation politique du chef de l’État. Cette commune, dans sa quasi totalité, a décidé a boudé les can didats PHTKistes, tant au niveau de la présidence, avec Jovenel Moïse ou au niveau de la députation, en la personne de leur porte-parole, Joseph Lucien Jura (l’homme par qui le scandale arriva).
Tel que souhaité par la population de cette commune, ils ont perdu les élections à l’Arcahaïe, qui avait encore a une dent contre la gent tèt kale, à cause de l’accaparement de la partie la plus rentable de
cette belle commune au profit du département de l’Artibonite, en sus des nombreuses victimes laissées sur la chaussée.

Le bruit qu’avait fait courir le gouvernement Martelly concernant le retrait du décret incriminé n’a été qu’un leurre pour rétablir le calme dans la cité du drapeau. Et moins d’un mois après l’investiture du président Jovenel Moïse, porté au pouvoir par PHTK, le décret est revenu sur la scène. Cette fois-ci présenté comme projet de loi, le document a été acheminé au Parlement, au cours du mois de février 2017, pour être votée loi. Et la population, une nouvelle fois, est sortie de ses gonds; mais les dirigeants avaient bien préparé leur coup.
En effet, toutes les unités de la Police nationale étaient cantonnées dans la cité du Drapeau. Le mois de mars a été particulièrement éprouvante pour les habitants. Une grande partie de la population a déserté
la ville. D’autant plus que les forces gouvernementales étaient revenues avec beaucoup plus de violence. Les  établissements  scolaires ont refermé leurs portes; victimes de tirs des policiers, des citoyens trouvaient la mort par balles, etc. La REDA (Résistance pour le développement de l’Arcahaie) a écrit au gouvernement pour demander que soient tenues des négociations, en vue de résoudre la crise.
Sans aucun succès, et les manifestations continuaient; certains ministres du gouvernement sont venus rencontrer les leaders de la commune en vue de discuter de la création de la commune de Montrouis,
faisant des promesses qu’ils ont vite niées une fois qu’ils avaient tourné les talons.

Le 5 mars 2017, dans l’après midi, comme ce fut le cas chaque jour, on lançait du gaz lacrymogène par-ci par-là; et deux soldats se sont rendus à proximité de la maison de Jean Willer Marius, ex-vice-délégué de l’Arcahaïe et chef de campagne du candidat à la députation Jean Jackson Michel, les deux principaux adversaires de Lucien Jura dont les démêlées politiques et prises de positions en faveur du mouvement étaient con nues des médias haïtiennes. Les policiers ont lancé du gaz lacrymogène sur sa maison, sans se soucier du fait que des enfants à bas âge s’y trouvaient, alors que les bruits d’armes automatiques emplissait tout le quartier.
Ne pouvant plus résister, les gens, qui se trouvaient dans la maison, ont fini par sortir par la porte arrière pour se réfugier dans les champs, histoire d’éviter que les enfants ne soient suffoqués, comme c‘était le cas d’un nouveau né, qui se trouvait dans une maison située à 200 mètre de celle de M. Willer. Inquiet pour sa sécurité, ce dernier a dû déserter les lieux avec sa famille.
En fin de compte, au cours du mois d’avril 2017, les dirigeants du pays ont adopté de nouvelles stratégies : Des policiers en civile de la DCPJ (Direction centrale de la police judiciaire) accompagnés d’agents cagoulés du CIMO, chassaient tous ceux qui étaient en mesure d’assurer la défense des citoyens en matière politique, et qui pouvaient parler au nom de la commune. Ils en profitaient pour déblayer le terrain en vue des prochaines joutes électorales.

Le vendredi 7 avril 2017, aux environs de 5 h. p. m., le bruit a couru que le cortège du président a été attaqué au niveau de Saintard-Arcahaie. Ce dernier faisait état d’ « attaque terroriste » et d’attentant  contre sa personne. La police a passé plus de 45 minutes à tirer et à intimider la poulation, par des actes de maltraitance, des tirs de gaz lacrymogène et autres.
Trois jours plus tard, soit le lundi 10 avril 2017, L’Arcahaïe a été, une fois de plus, assiégée. Toutes les unités de la Police nationale ont été de nouveau déployées; des arrestations illégales et du matraquage s’ensuivaient. La population vivait dans la peur et les principaux leaders du mouvement  Résistance pour le développement de l’Arcahaïe étaient frappés d’une mesure d’interdiction de départ, qui n’a pas été rendue publique, tel qu’exigé par la loi.

Le jeudi 13 avril, Jean Jackson Michel, ex-candidat à la députation de l’Arcahaïe, sous la bannière du parti AAA (Atibonit an aksyon) dirigé par l’actuel président du Sénat, le sénateur Youry Latortue, a été
arrêté à l’aéroport international Toussaint Louverture alors qu’il s’apprêtait à se rendre aux États-Unis pour participer aux funérailles d’un proche parent. Le lendemain, d’autres jeunes leaders du mouvement ont été arrêtés, et sont en détention au  Pénitencier national comme prisonniers politiques, sans s’être jamais présenter par-devant leur juge naturel.

Quelques jours plus tard, le président du Sénat, intervenant sur les ondes de radio Zénith-FM, au cours d’une émission de débat, animée par le journaliste Guerrier Henry, apportait un démenti formel aux déclarations du président Jovenel Moïse attestant qu’au moment de l’incident lui et le président de la Chambre des députés, Cholzer Chancy, se trouvaient en personne dans la voiture même du président Jovenel Moise (la bande sonore existe et est disponible), et qu’il n’y avait pas eu d’attaque contre le cortège présidentiel. Les informations qui nous sont parvenues par la suite font état d’un scénario monté de toute pièce par les autorités pour justifier des représailles, dont le principal objectif reste l’éradiquer du mouvement populaire à l’Arcahaie.

Depuis, c’est le calme plat. On dirait que tout le monde oublie ces exilés et prisonniers politiques du gouvernement Moise-Lafontant, qui croupissent au Pénitencier national. À noter que le 24 décembre 2017 ont été chantées les funérailles de Idalia, la mère de Jackson Michel, qui n’a pu conduire à sa dernière demeure celle qui lui a donné le jour.
Ruiné et mené en bateau par le système judiciaire haïtien, cet entrepreneur croupit au Pénitencier attendant peut-être sa mort prochaine, suite aux différentes piqûres qu’on lui a administrées sans son consentement.
Jovenel Moïse ne cesse de clamer qu’il n’y a pas de prisonniers politiques dans ses prisons. C’est donc une décision judicieuse qu’avaient prise les autorités québécoises de refuser au chancelier haïtien et à la ministre des Haïtiens vivant à l’étranger, qui voulaient, lors d’une visite au Canada, soit disant pour rendre visite aux réfugiés, l’accès à ces derniers.

Il reste donc à solliciter l’intervention de la communauté internationale afin d’enquêter sur le sort fait à ces militants de droits humains victimes de l’Arcahaïe abandonnés à eux-mêmes; et dont les responsables feignent d’oublier leur présence dans cet enfer du Pénitencier national, éloignés de leur famille, à l’occasion des fêtes de fin d’année.


cet article est produit par l’hebdomadaire Haïti Observateur, édition du 27 décembre 2017 et se trouve à cette adresse-ci : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2017/12/H-O-27-dec-2017-1.pdf, en P. 1, 15, 16