Trafics Illicites, Corruption et Blanchiment d’Argent

Les révélations de Guy Philippe vérifiées ; Plus d’une douzaine de parlementaires pourraient le suivre à Miami…. par Léo Joseph

Après une enquête qui s’est étirée sur près d’une année, afin de vérifier les révélations faites par Guy Philippe, les autorités fédérales se trouvent en position de procéder à des arrestations en Haïti. Réalisant que les encouragements à la résistance aux autorités judiciaires américaines que lui inspiraient ses alliés, amis et collègues restés en Haïti n’étaient que bravade, il semble se dire qu’il
est condamné à faire la prison tout seul. Aussi a-t-il décidé de dire « toute la vérité » et « rien que toute la vérité » aux enquêteurs fédéraux. Cela vaut bien la peine, car il est passible de voir sa peine de
plus de neuf ans de réclusion réduite à seulement quatre ans.

En effet, en prison, se retrouvant seul avec ses pensées, se déboires et passant mentalement en revue des hommes et femmes dont les activités, privilèges et la fortune se confondaient avec les siens, pendant qu’il se mélangeait avec des gens, dont la plupart n’ont aucune identité, Guy Philippe s’est rendu compte qu’il a mal joué quand il croyait donner le change aux agents fédéraux qui tentaient de lui tirer les vers du nez. Aussi voulait-il, dans un premier temps, lancer ces derniers sur de mauvaises pistes, estimant qu’il avait la responsabilité de protéger ses « associés » restés au pays se la coulant douce, tandis qu’il se trouve enfoncé dans une existence humiliante, et obligé d’exécuter des ordres déplaisants et à se surveiller constamment pour ne pas contrarier ses geôliers. Se souvenant sans doute du cas de Jacques Kétant s’ingéniant à fournir des informations inexactes aux agents fédéraux, ce qui lui valait l’exil à une prison éloigné de sa famille qui se trouvait à Miami, en sus d’avoir écopé d’une peine de plus de vingt ans de prison, un brusque revirement s’est opéré chez Philippe.

Le réseau de Raynald Saint-Pierre dénoncé
Ce qui a peut-être valu à Guy Philippe une sorte de « sympathie » des dirigeants fédéraux, c’est le luxe de détails qu’il a révélés au sujet de Raynald Saint-Pierre, un ex-officier de l’Armée démobilisée purgeant sa peine dans une prison fédérale, après avoir plaidé coupable de trafic de drogue et
d’avoir expédié des dizaines de kilogrammes de cocaïne aux États-Unis.

Des sources proches des enquêteurs fédéraux ont précisé que Philippe a permis à ces derniers de remonter la filière de distribution de drogue qui a résulté à l’identification des acteurs. Aussi, grâce au sénateur élu de la Grand’Anse (département du sud-ouest) des anciens barons de la drogue n’étaient-ils plus des « illustres anonymes » utilisant tous les artifices imaginables pour dérouter les agents fédéraux, dont certains de leurs limiers locaux, au sein de la Police nationale (des Forces armées d’Haïti avant celle-ci), faisaient plutôt acte d’allégeance aux barons locaux au lieu de dénoncer ces derniers au en- quêteurs, tel qu’ils étaient grassement payés pour le faire.

À partir du recoupement des informations obtenues de Philippe, des agents de la Drug Enforcement Administration (DEA) en poste en Haïti, ont réalisé que celui-là a permis d’identifier parfaitement les
hommes, en diaspora comme en Haïti, qui étaient engagés dans le commerce illicite de la drogue.

Par exemple, à cause de Philippe, il a été possible d’établir le lien qui existait, ou qui existe encore, entre Jacques Kétant et la pègre haïtienne, ou encore entre ce dernier et les groupes musicaux. D’où la
possibilité de lier des musiciens bombardés députés et sénateurs à Kétant qui continuait à attirer comme un aimant des musiciens parmi les mieux côtés des groupes musicaux, même quand il se trouvait en prison aux États-Unis. Puisque des artistes logeaient dans des maisons qui appartenaient à Jacques Kétant et roulaient ses luxueux véhicules alors qu’il était incarcéré aux États-Unis, loin de son fief, Haïti.
D’autres anciens officiers membres des Forces armées d’Haïti (FAdH) faisaient partie du même réseau que Raynald Saint-Pierre, qui s’est montré extrêmement avare d’informations. C’est pourquoi il était
impossible d’identifier les associés de ce dernier.

Mais, non seulement Guy Philippe à mis les autorités fédérales sur la piste des membres des réseaux Kétant et Saint-Pierre, ses informations ont exposé des hommes d’affaires évoluant dans les trafics illégaux, y compris ceux ayant participé à l’importation des drogues transportées par le «Bateau sucré » d’Acra.

Pour les autorités fédérales américaines, maintenant Guy Philippe est considéré comme un précieux allié dans la lutte contre le trafic de drogue. C’est pourquoi la collaboration qu’il a donnée a ouvert des « pistes intéressantes ».

Mais, l’aide fournie par ce dernier a permis d’identifier des acteurs d’autres crimes. Car, dans la mesure où les trafiquants de drogue — ou de tous les autres commerces illégaux — ont besoin de blanchir l’argent sale, il y a fort à parier qu’ils doivent avoir accès à d’autres spécialités. D’où, la nécessité de trouver des spécialistes de transferts clandestins. Et si certaines institutions bancaires se sont évertuées à ne pas se mêler à cette activité illicite, d’autres, attirées par les juteuses commissions que cela procure, ne peuvent résister à la tentation de servir ceux qui en font la demande. On se rappelle que Guy Philippe a été accusé d’effectuer des transferts d’argent sale de banque à banque, ce qui lui a valu d’être poursuivi pour blanchiment des avoirs. Or ces opérations n’ont pas été réalisées par le truchement de banques étrangères seulement, puisque des institutions bancaires locales l’ont été à tromper la vigilance des autorités bancaires et à effectuer des dizaines de milliers de dollars à destinations des banques américaines.

En ce qui a trait aux transferts clandestins, c’était surtout l’apanage de Laurent Lamothe. On ne sait pas si Philippe a été un de ses clients, mais il y a de fortes possibilités que si c’est le cas, l’ancien Premier ministre s’est mis à table au détriment de ce dernier.

À coup sûr, des banques privées membres du système bancaire haïtien ont participé à ces opérations illégales. Vu la concurrence constatée dans le marché et les limites imposées à ces institutions par une clientèle aux faibles moyens, les banques haïtiennes prétextent ces problèmes pour faire du transfert clandestin un moyen sûr d’augmenter leurs revenus. Dans ce domaine encore, Guy Philippe a bien servi les autorités fédérales. On se souvient, par exemple, qu’un technicien du by-pass, qui travaillait pour la SOGEBANK, avait été assassiné sans qu’ait été établies les conditions dans lesquelles il avait trouvé la mort. En effet, directeur numérique à cette institution bancaire, Michel Stéphane Bruno, 42 ans, fut assassiné dans la soirée du mercredi 15 juin 2015, à Puits Blain 17. L’enquête qu’on pré- tend avoir diligentée, afin d’- identifier son assassin, n’a jamais eu de suite.

À l’occasion de sa mort, des observateurs avaient indiqué qu’il avait été abattu après son interview avec des agents du Bureau of Federal Investigation (FBI) dans le cadre d’une enquête que menaient les Américains sur les activités de by-pass et le transfert clandestin d’argent. D’aucuns prétendaient, à l’époque, que son assassinat avait été commandité par des clients qui craignaient que leurs activités illégales ne fussent révélées.

Tous ces facteurs pris en considération font croire qu’après environ une année, l’enquête suscitée par les révélations de Guy Philippe est parvenue à la phase d’arrestation des personnes concernées.

Établissant un lien avec de telles activités illicites et l’affaire PetroCaribe, les enquêteurs fédéraux ont conclu que les plus de USD 2 milliards $ détournées de ce compte n’ont pu être transférés à l’étranger, en raison de la surveillance serrée mise en place par le personnel bancaire international préposé à cette tache. Les observateurs sont d’accord que, dans les milieux bancaires haïtiens, des ouvriers du by-pass ont réussi des opérations clandestines de transfert de fonds, mais ces derniers limitaient leurs activités à moins d’un million par session. Selon des experts, le gros des sommes volées par les anciens hauts fonctionnaires haïtiens se trouvent encore en Haïti, servant, dans biens des cas, à financer le commerce infernal et des projets locaux.

Jovenel Moïse au même carrefour qu’Aristide ?

Dans certains milieux diplomatiques américains, on laisse croire que, suite aux aveux faits par Guy Philippe, il est possible que les autorités judiciaires fédérales aient mis leur machine en branle en vue de rapatrier aux États-Unis les personnes dont l’enquête aurait révélé la participation à ces activités illégales clandestines.

En effet, selon ces sources, il est possible que Jovenel Moïse soit mis dans l’obligation d’acquiescer à une éventuelle demande des autorités américaines de leur livrer les personnes fautives. À la question

de savoir quelle attitude observer si ce dernier refuse d’obtempérer. La réponse est on ne peut plus catégorique. Comme dans le cas d’Aristide, qui voulait faire exécuter Jacques Kétant, au lieu de le livrer aux Américains, de peur que ces derniers ne lui arrachent ses propres secrets dans le trafic de drogue, la réponse a été, il sera transporté à Miami à leur place. Pour mémoire : Dans le cas d’Aristide, les marshals fédéraux, qui étaient venus chercher Kétant, étaient arrivés chez lui afin de mettre ce dernier en état d’arrestation. Sur ces entrefaites, l’ex-président Aristide expédia Rudy Thérassant chez le baron de la drogue pour le lui ramener. Mais il devait plutôt, en aparté avec Thérassant, lui dire d’em- mener le prisonnier à Ti-Yanyen et de l’y abattre. Alors comprenant ce qui se passait, le chef des marshals parla ainsi à Aristide : « Nous sommes venus chercher un prisonnier. Nous devons retourner avec un prisonnier. Si ce n’est pas lui, nous vous emmenons à sa place ». À ces mots, M. Aristide fit un appel à Rudy Thérassant lui demandant d’amener Jacques Kétant chez lui.

On ne peut dire avec précisions ce qui va se passer. Mais il est certain que des sénateurs, des députés et d’autres catégories d’individus recevront des visites désagréables, dans les prochains jours.


l’original de cet article publié dans l’édition du 28 février de l’hebdomadaire, se trouve en P. 1, 14 à cette adresse-ci : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/02/H-O-28-fev-2018-1.pdf